8. Âme sœur

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VIII.

Ansol lu et relu les quelques pages des deux manuscrits qu'elle trouva à l'emplacement indiqué par Cesyll.

Les deux livres étaient fins et peu fournis et avaient simplement l'air d'avoir été oubliés au beau milieu de tous ces ouvrages.

Le premier relatait les observations d'une milice autrefois envoyée dans les provinces. Des indications telles que le temps, le nombre d'hommes, le nombre d'habitants, y étaient soigneusement retranscrites. Et finalement, entre ces interminables lignes de détails futiles et sans véritable intérêt, Ansol aperçut la Baie d'Allin et les Ailes Rouges.

Mais l'auteur ne développa pas davantage. On parlait de la légende d'un trésor gardé par les mouettes, du danger qu'elles représentaient pour les plus curieux, et de la peur qu'elles cultivaient depuis des générations. Des notions loin d'être nouvelles pour la jeune femme. Tout cela faisait partie intégrante du folklore de l'île.

Le second livre en revanche l'interpella un peu plus. Rédigé d'une plume différente, il regorgeait de noms de contrées plus ou moins connue de l'alchimiste, de villages et de ces nombreux petits dirigeants — tous sous l'autorité suprême du roi Poseus. Le registre s'accompagnait après plusieurs pages de dessins qu'Ansol prit le temps de longuement analyser.

Elle entrevit pour la première fois une carte de l'île de Jiha et de ses villes, de ses immenses plaines désertes, et de ces eaux qu'elle n'imaginait exister que sur les côtes.

La petite île était en réalité étonnamment vaste.

Elgara était situé au centre de Jiha et se trouvait aux abords de trois fleuves, de longues rives divisant plusieurs régions dont Ansol ne connaissait jusqu'ici pas l'existence. Le Seo, le Him et le Nam. L'un à l'ouest de l'île, l'autre au sud, et le dernier au nord. Mais là s'arrêtaient les détails.

En revanche, les pages suivantes étaient couvertes d'informations sur la Baie d'Allin, cette fois bien différentes des faits connus cités dans le premier recueil. L'alchimiste porta une attention particulière à l'intriguant récit.

On parlait de la mer. Quelqu'un s'en était follement passionné.

Après les disparitions des derniers jours, je me dois de découvrir et de comprendre. Pourquoi cet immense monde bleu, parfois gris, et atrocement noir la nuit, nous terrorise-t-il tous ? Je ne suis qu'une apprentie de la science, peut-être une folle en devenir, mais il est de mon devoir de connaître ce qui nous effraie.

Ansol s'arrêta un instant dans sa lecture. Le manuel se transformait soudain en journal de bord, exactement comme ceux qu'elle tenait autrefois avant de prendre l'eau. L'auteur, devenue autrice, ne donnait ni son nom ni d'indication de temps précise. Il n'y avait que pure et brutale application de ses observations, comme si elle s'était précipitée d'écrire son vécu.

Nos ancêtres pratiquaient ce qu'ils nommaient la pêche. Ils se jetaient à la mer sur des constructions de bois, et revenaient avec ces petites créatures marines que tous autrefois adoraient manger. Mais l'étrange pratique s'est soudainement arrêtée. Je n'en connais pas encore la cause.

Une violente frénésie s'est installée dans l'esprit de tous, y compris du mien, et l'eau est devenue notre enfer. Les notions anciennes nous effraient et nous n'osons plus compter jusqu'à deux.

Pourquoi ? Que nous est-il arrivé à tous ?! Nous qui étions si heureux, si libres, nous voilà censurés par une crainte sans nom que personne n'arrive à expliquer.

Cette situation nous affecte bien trop. Je nous vois tous changer. Je crains presque de regarder quiconque dans les yeux par peur de me lier à un destin damné. Le chiffre est brusquement devenu maudit dans la tête de mon entourage.

Les Mouettes aux Ailes RougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant