(Avant d'entreprendre la lecture de ce chapitre, je vous recommande de lire L'Héritage de Doanac jusqu'au Chap. 2-2)
La bougie à côté de moi a crépité trois fois. Je lève les yeux de mon manuscrit pour observer le ciel au travers des grandes fenêtres de la bibliothèque. Le voile sombre de la nuit recouvre l'horizon. Au cœur de l'obscurité, on ne distingue que les lumières des postes de garde en hauts des remparts. Après les érudits de la Chambre des Sages, seuls les membres de la Garde de Shenkeol veillent aussi tard.
Au fond de la bibliothèque, on entend le son feutré de pas déambuler entre les rayonnages de livres et le doux froissement du papier à chaque page tournée. J'adore ces sons. Quel que soit l'heure du jour, en venant ici, j'ai toujours l'assurance de retrouver cette atmosphère que j'affectionne tant. C'est un privilège pour moi de me retrouver ici. Je parcours du regard l'étendue des livres étalés sur la table d'étude devant moi. Oui, un privilège que beaucoup méprisent.
Les érudits de la Chambre des Sages sont bien trop souvent raillés et dédaignés. Leurs tâches intellectuelles contribuent trop peu, selon eux, à l'équilibre du monde connu des hommes. En comparaison, le Cercle bénéficie d'une bien plus grande notoriété. Quelle injustice, me dis-je. Pourtant, sans le travail des érudits, le Cercle serait bien impuissant ! Et pourtant, c'est bien grâce aux informations recueillies par ces hommes et par ces femmes que les négociants du Cercle ont autant de pouvoir. Sans le travail acharné de mes paires, rien ne serait possible. Quelle ingratitude ! À tous ceux qui pensent que les érudits sont seulement des gratte-papiers, j'aimerais leur demander de prendre ma place pendant un mois. Ainsi, ils ouvriraient certainement les yeux sur la tâche colossale que nous accomplissons !
Un soupir m'échappe. Il ne sert à rien de s'emporter ainsi. Je n'ai pas de temps à perdre en tergiversations inutiles. Le temps passe trop vite. Dans quelques heures le jour se lèvera et, bien malgré moi, il me faudra penser à dormir avant de quitter l'îles de Shenkeol. Je dois encore me rendre dans les Plateaux Arides.
Fichus Petits Seigneurs ! Houspille-je intérieurement. Ils ne peuvent décidément pas se débrouiller tout seuls. Ils utilisent les érudits comme bon leur semble et le Régent est trop compatissant pour leur refuser son aide. Rien d'étonnant, après cela, que l'on soit aussi peu considéré.
Une maladie se répand près de la Côte Argentée et les seigneurs les plus proches sont venus quérir l'aide des érudits pour l'identifier. Ces ignorants parlent déjà du retour du souffle qui a contaminé les terres il y a de cela plus d'un siècle. Impossible ! Nous autres, membres de la Chambre, savons cela invraisemblable. Mais pour les en convaincre, le Régent a mandaté cinq érudits et deux herboristes pour rassembler les preuves nécessaires à notre argumentation.
Si les Petits Seigneurs prenaient la peine de garder une trace écrite de leur histoire, ils n'auraient pas besoin de pleurer constamment auprès du Régent pour des broutilles. Si leur gens sont malades, la famine en est, plus probablement, la cause. Mais impossible de leur annoncer cette conclusion de but en blanc.
C'est ainsi que je me retrouve contrainte de déchiffrer de vieux registres datant de la Grande Guerre et faisant mention de ce phénomène. Je soulève alors un livre pour dévoiler une carte de la Tobrea, ensevelie sous d'autres ouvrages.
La Tobrea est divisée en trois grands territoires, chacun formé par une coalition de seigneurs ou de rois.
Les Plaines Blanches représentent le territoire le plus militarisé du continent. Sa proximité avec la Seltare a rendu incroyablement prévoyant les habitants de cette région. Pendant la Grande Guerre, ils furent les premiers à prendre les armes. Ils furent également les derniers à tenir encore debout quand le Kenolac vint en aide aux tobreens.
Les plaines se divisent entre seigneurs de guerres et rois, mais un seul a autorité sur tous les autres : Rynless Walwain, roi d'Ordalie qui siège sur le Trône des Rois. Il gouverne sur les Pleines Blanches et préserve leur unité. C'est un dirigeant inflexible qui donne régulièrement du fil à retordre au Régent.
Le climat y est rigoureux, mais les ressources sont nombreuses : métallurgie, verrerie, pierres précieuses et bois viennent compléter leurs productions de tapisseries, velours et fourrures. Fort de ce savoir-faire propre à ce peuple et indispensable aux autres, les Plaines Blanches se montrent bien trop souvent capricieuses et effrontées au regard du Régent.
Le fils aîné de Rynless est promis à la fille de Mehira El Ghera, dirigeante de Doanac.
Voici une union qui ne manquera pas de faire grincer des dents notre Régent...
Au sud, les Terres Fluviales représentent le grenier du continent. L'opulence de ces terres est en total adéquation avec le tempérament de ses habitants. On pourrait facilement les croire arrogants et vantards. Et pourtant, ils sont d'une grande simplicité et d'une générosité peu banale. Même dans la détresse, ils sont prêts à donner le peu qu'ils ont. Les seigneurs des Terres Fluviales sont fidèles au Régent. Ils n'ont pas de roi et très peu d'armées. Leurs ressources sont nombreuses : agriculture, pèche, textiles et élevage de bovins et ovins. Ils produisent également la plus grande variété de plantes médicinales du continent. Les meilleurs guérisseurs et herboristes sont formés dans le sud. Malgré ces richesses, ils restent humbles. Ils commercent principalement avec le nord.
De tous les territoires de Tobrea, c'est, sans nul doute, le plus facile à gérer.
Le plus délicat de tous, voire le plus épineux, reste le territoire des Plateaux Arides. Les Petits Seigneurs sont un réel problème pour le Régent. Chacun ne pense qu'à agrandir son territoire au détriment des autres. De plus, ils sont incapables de se débrouiller seuls. Toujours à mendier l'aide du Régent ! Leur territoire n'est pourtant pas dénué de ressources. La pêche et le charbon en faisaient partie, avant qu'ils ne les abandonnent au profit de la guerre. Aujourd'hui, ils continuent à exploiter quelques carrières et se reposent sur la production de laine et d'huile d'olives provenant du sud des plateaux. Sans l'Alliance de Shenkeol, ils se retrouveraient bien vite en détresse.
La Grande Guerre a profondément marqué ce territoire qui en porte encore les stigmates. Pendant très longtemps, la Côte Argentée a été inhospitalière aux hommes, conséquence de la guerre. Ce qu'on a appelé le souffle empoisonnait l'air et la terre. Aujourd'hui encore, certaines zones sont sensibles, rendant les cultures irrégulières.
Au centre : Doanac, cité-état indépendante, joyau du continent et épine dans le pied de notre très cher Régent...
Lasse, je détourne le regard du centre de la carte pour le porter à l'ouest : la Seltare, berceau du mal et terre des Wynersids. Aucun tobreen n'y a jamais laissé l'empreinte d'un pied, et qui le voudrait ? Nous savons peu de choses sur ce territoire, mis à part le fait qu'il abrite les êtres les plus redoutables du monde connu des hommes et qu'il semble recouvert de forêts. Il paraît invraisemblable que nous ayons aussi peu d'informations sur ceux qui ont, jadis, ravagé nos terres. Nous avons préféré oublier pour ne plus souffrir...
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La Chambre des Sages
FantasyLa Chambre des Sages est l'une des corporations de l'Alliance de Shenkeol la plus mal considérée. Bien malgré eux, les érudits de la Chambre sont traités avec mépris. Pourtant, l'une des jeunes recrues de cette Guilde espère bien faire changer les c...