Les pensées silencieuses

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L'enfance, ce lieu où le théâtre de la vie se met en place afin de composer ces comédies dramatiques qui construisent les drames de nos existences n'est au final qu'une mer calme qui s'agite sur le long corps du temps. Aussi loin que je puisse me rappeler, l'eau me paralysait. Je ne pouvais grimper sur l'un de ces paquebots ronflant le long de la berge qui guettaient le moment d'avaler ces horribles touristes sur les flots. Je criais, pleurais, suppliais sur le pont sans pour autant avoir la chance d'espérer qu'une oreille me porte attention. Ma vie est, et il en a toujours été ainsi.

Il était temps. Ma mère ne pouvait s'empêcher de prononcer ces mots: "tu rentres chez les grands", "je suis si fière de toi", "sois présentable". Du haut de mon mètre soixante, pourtant, mon visage contemplait un sol gris terne qui s'assombrissait tandis que ce matin mes yeux contenaient certaines gouttes salées portées par le vent sourd dans ma tête. Le goût amer de la rentrée semblait de retour. Quant aux futures familles présentent également; elles s'agglutinent vers l'entrée du portail portant leur enfant tel un trophée. Comme on avait pris la route à deux, le modèle féminin qui s'était préparé près d'une heure dans notre salle de bain les imitait. De nature timide je préférais combler le fond. Toute cette comédie mélancolique des mères à l'entente du nom de leur enfant m'exaspère. Après tout n'allaient-elles pas les revoir d'ici la fin de cette journée ?

Je reconnaissais déjà, dans ce troupeau, quelques camarades l'année dernière dont un proche de nous. Pourtant, je ne l'ai pas rejoint. Mes pieds plantés au sol ne pouvaient pas faire de pas. Mon cœur faible flanchait dès la première étape de cette scolarité sous un sourire faux semblant vrai. Il riait. Ce simple comportement éveillait en moi de multiples questionnements, dont le plus dangereux : celui de la ressemblance. Je rêve de métamorphose. Tout se passait correctement jusqu'au primaire. on m'a souvent partagé ces paroles: "les enfants sont méchants". Effectivement, ils le sont. On nous apprend que les êtres humains sont égaux, qu'il est préférable de les sociabiliser à l'école, qu'on est libre d'aimer et d'apprécier les belles choses qui nous sont offertes . La différence ne s'est pas distinguée au collège mais bien plus tôt. La solitude, le dédain, et le regard se développent lors de la petite enfance. Puis un beau jour il vous annonce qu'on ne vous apprécie pas car vous ne correspondez pas aux critères exigés, vous n'êtes pas son type. Et lorsqu'enfin il s'approche de vous pour soi-disant prendre de vos nouvelles, on finit par se retrouver dans la même cour, dans le même rang, dans la même classe, dans la même pièce. Il me prête une attention particulière en feintant m'ignorer. Il m'a aidé à me relever tout en appuyant sur la brèche d'une souffrance que mon cœur ressent lorsqu'il complimente les autres en me trouvant laide. Cette jalousie que je crois ressentir en son contact facile avec autrui construit en moi l'irrésistible envie de le comprendre et d'oser si je puis dire faire preuve de tant d'honnêteté dans mes discours. M'a t-il regardé ? A l'instant, j'ai senti son regard. S' il apprend que je convoite ses caractères, en sera t-il fini de ce nous qui m'accompagne ? Je suis seule. Il l'a remarqué. Ne viens pas ! Ne m'approche pas ! Je ne peux pas te regarder. Si tu savais comme j'ai honte... Les larmes montent en ta présence, mais je ne dois pas pleurer. Maman m'a dit que je devais devenir forte, et lorsque tu es là j'apprécie d'être faible car dans ton attention j'aperçois de la compréhension. Ton parfum m'enivre de regrets au bruit des clapotis que tu accentues tandis que tu passes accompagné de ce sourire narquois brandit tel un "salut" anodin puisqu'en toi tu prends ce malin plaisir à semer le doute par procuration. Finalement tu pars ailleurs. Je crois que j'aurais préféré que tu te retournes. Il n'y a qu'avec toi que je partage ces sentiments parce que je fais de mon mieux mais les autres ne peuvent me satisfaire... Et bien que tu sois mauvais envers moi je ne peux penser à quelqu'un d'autre dans ce rôle. Serait-ce dans ce film que l'héroïne annonce aux spectateurs que "le cœur d'une femme est un océan de regrets", je ne sais plus, tu m'as perdue dans ces yeux. Je suis effrayée. En tant qu'unique ami, pourrais-tu me pardonner ces sinistres pensées ? Bien sûr que non. J'ai fini par te comprendre au bout d'un certain temps. Un jeu est un jeu. Toi qui en est l'instigateur secret ne pourrait changer les règles sans quoi plus rien d'amusant ne se produirait. Dépourvue d'obligation je t'ai suivi dans cette bataille navale, tu m'avais pourtant laissé le choix. Las, quel choix ? acculée au bord de la berge tu m'as pris une main que tu semblais avoir pour acquis, comment une personne désespérée aurai t-elle pu refuser des mots aussi doux ? Tu voulais échapper à ces démons, du moins on le croyait. Si tu plongeais je devais te rattraper mais tu te fichais de la personne que j'étais et que je pouvais devenir. Alors tu as commencé à exercer cette emprise. J'aurais dû partir quand tu me traitais de cette manière. Si je ne suis pas ce que tu veux que je sois, me quitteras-tu ? J'aimerais que tu t'en soucis au lieu d'apprendre à te divertir de mon malheur tout en l'encourageant de tes remarques. Je nage droit puis tu me proposes un chemin embrumé où je dois t'accompagner. J'ai presque envie de refuser, mais de façon malsaine je continue d'accepter ces instants avec toi. Le plus drôle c'est que personne n'a l'air de se rendre compte de ce que tu me fais subir.

Tu contournes ces enfants qui côtoieront notre quotidien en les observant. Je n'en vois aucun t'accorder du crédit sauf cette fille qui est aimée par tous. On peut facilement l'imaginer au centre de notre classe. Elle est appréciée par les instituteurs qui connaissent déjà ses résultats scolaires excellents, elle est estimée par les autres grâce à sa gentillesse et son pardon, elle plaît à l'aide de son physique innocent et mignon qui laissera bientôt place à la future femme d'affaire brillante qui se déploiera. Une fillette parfaite sous tout rapport n'est-ce pas ? Je déteste ça. Tu la dévores au loin muni de ton envie et de ton admiration apparente cachant ce tourbillon d'amertumes qui se réveille. Il faut croire que nous communiquons nos réticences au travers du lien qui nous unis l'un à l'autre depuis ce qui me paraît une éternité. Je restais tranquillement dans mon coin avant qu'elle ne me rejoigne. Essaie t-elle de faire la conversation ? Ah, c'est ennuyant, je ne suis guère amatrice de ceux qui éprouvent de la pitié à mon égard. Mes émotions sont sous pression quand je l'entends me parler. Non, je dois les contrôler en ta présence, je ne veux pas manifester cet état là au moment où tu es dans les parages. Néanmoins tu l'as senti, ce malaise. C'est la raison pour laquelle une sueur froide annonçait ton arrivée. Maintenant que tu es là tu demeures silencieux pendant qu'elle te dédaigne, en tout cas tu l'interprétais ainsi. Mon cœur m'échappe un battement sous ce sentiment d'insécurité. Tu viens de la pousser à cause du bracelet dont elle n'arrêtait pas de se vanter. Un attroupement se forme autour de cette ingénue, personne ne comprend ce qui t'as mené à faire ça. Seulement c'est étrange, les regards ne se posent sur toi ils sont dirigés contre moi. Je n'ai rien à voir, vous vous trompez en me dévisageant ! L'espoir infime que tu te dénonce emplit mon esprit alors que je te supplie pour au final n'avoir comme résultat que ce visage parfaitement neutre que tu arbores devant les autres incompréhensif. J'ai perdu, tu me donne et reprend n'est-ce pas ironique ? Il m'est impossible de supporter cette ambiance, mes pas me dirigent naturellement au seul endroit un tant sois peu isolé, les toilettes. Mais c'est trop quémander, tu m'as suivie.

On partageait mes pensées pourtant ta trahison me déchire, alors abandonne moi ! Je me sens encore plus misérable lorsque tu es ici dans ce silence menaçant. Tu es juste... vide ? Rien n'a d'importance. Le robinet laisse s'enfuir l'eau au sein de ce contenant vaste et blanc qui lui succède afin que le bruit émanant de cet enchaînement m'apaise tandis que j'étale le liquide transparent près de mes joues. J'ose sur un coup de tête écarter mes doigts afin d'examiner l'image relatant du miroir. Il n'y a que toi. Je n'en peux plus, je craque. Si je ris ce n'est pas parce que je deviens folle mais parce que tu me hantes nuit et jour sans répit. Lamentable. Je me manque, le moi d'autrefois me manque. Je voulais que tu ruines ma vie sans savoir ce que ça signifiait. Tu reviens constamment à moi depuis qu'on s'est rencontré. Dis... pourquoi cherches-tu le pire en moi ? Que faire pour effacer ma peine ? Et si c'était toi que je gommais..? Après tout, tu n'es qu'une erreur d'un croquis qui a la chance, lui, d'évoluer. Je n'hésiterais plus à respirer cet air pollué si ça me permet de me débarrasser de ton insupportable présence. Je sais que j'ai déjà dit cela auparavant, pourtant et si je serrais mes mains abîmées autour de ton coup en resserrant mon étreinte m'en voudrais-tu ? Quoi que tu fasses il est trop tard ne te débats pas s'il te plaît, tu ne ferais que me contrarier davantage... Tu n'essaies même pas de crier, au contraire tu te contente de plonger tes yeux dans les miens. Ca me dégoute, je me retire. Tant de fois je me suis oubliée répétant les mêmes fautes. J'imagine que je serais plus en sécurité en allant jusqu'au bout. Ne laissons pas passer notre chance. Ne te sabote pas avec ces réflexions ridicules nées du politiquement correct. Je choisis de croire en la subjectivité des notions de bien et de mal. Quoi qu'il arrive je ne peux perdre, la solitude me possède et je n'ai pas le courage de traiter avec bienveillance un être qui m'importe peu. Intéressant... Serais-je aussi vide que lui ? En m'approchant de toi il s'avère qu'à genoux ton pathétique ressort, je ne te pensais pas fragile à ce point. Agrippée à ta nuque, il me suffit de m'empêcher d'hésiter. Ton visage s'enfouie sous l'eau jadis mon pire ennemi, que de présentations entre vous. Des bulles émergent, c'est marrant...

Malencontreusement le professeur surgit et me demande de rejoindre mes camarades. Tu as disparu. La seule chose que j'entrevois est mon reflet flottant sur l'eau claire contenue dans le lavabo. Je nous reconnais.

Enma Shall

PrismeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant