Chapitre 2

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Village de Bradesh, Nord de l'Inde, 3 ans plus tard

– Debout Siddhi, c'est l'heure d'y aller.

Siddhi ouvre les yeux péniblement et voit sa mère s'affairer dans leur petite maison.

L'aube commence à poindre. Elles doivent partir. Beaucoup de travail les attend aujourd'hui. Siddhi n'est pas la seule jeune de son quartier à travailler avec ses parents. La plupart des enfants le font également, car un jour ils devront prendre la relève. Rares étaient ceux qui avaient pu fréquenter l'école longtemps.

Aller à l'école... C'était déjà lointain pour Siddhi. Cela faisait maintenant trois ans qu'elle travaillait aux côtés de sa maman. Trois ans qu'elle était devenue, tout comme elle, une »nettoyeuse manuelle ».

– Je sais que c'est dur Siddhi, mais tu verras avec le temps tu finiras par t'y habituer.

Le temps passe, oui, mais Siddhi ne s'y fait toujours pas. Elle a toujours la boule au ventre et le même dégoût.

Un panier, une brosse et une spatule sont leurs uniques équipements pour cette tâche ingrate. Chaque jour, elles doivent vider à mains nues les toilettes publiques et les latrines de plusieurs habitations. Un travail que Siddhi trouve tellement dégradant... Les premiers mois, elle avait même l'impression que l'odeur des excréments la suivait en permanence, malgré ses toilettes répétées.

Si seulement elle avait le choix, c'est sûr, elle préférerait faire autre chose. Mais c'est la tradition. Ce travail se transmet de mère en fille. Sans cela, elle n'a aucun autre moyen de subvenir aux besoins de sa famille. Quand les personnes qui les emploient sont bien disposées, la mère et la fille peuvent tout juste gagner 400 roupies par mois. Un bien maigre salaire pour ce travail répugnant, mais elle essaie de ne pas y penser. Son père, travailleur de cuir, ne gagne pas bien plus à l'atelier.

Depuis quelques temps, Siddhi souffre de maux de tête constants et de vomissements réguliers. Il est clair que cela ne lui fait pas du bien. Sa mère n'est pas plus en forme. Elle n'a pas encore quarante ans et elle souffre déjà de mal de dos récurrent et de problèmes respiratoires dus aux odeurs nauséabondes. Comme beaucoup d'autres Valmiki à qui sont réservées les tâches ingrates de nettoyer les toilettes, les égouts et les fosses septiques.

Siddhi admire le courage de sa mère ; elle fait cette tâche ingrate avec tellement de dignité. Elle ne se plaint jamais. Parfois, des habitants se moquent d'elle pendant qu'elle nettoie mais elle préfère les ignorer et ils finissent par la laisser tranquille. Malgré toutes les injustices qu'elle pouvait connaitre en tant qu'Intouchable, elle encourageait toujours sa fille au respect et à l'amour d'autrui.

Ce n'était pas chose facile dans le village de Bradesh. Le système des castes régit complètement la vie des habitants. Les Valmiki se situent tout en bas de l'échelle sociale. Ils font partie du groupe des Intouchables, un groupe en-dehors des castes pures définis dans l'hindouisme. Selon cette religion, ceux qui font partie des Intouchables auraient commis des actions impures dans leurs vies antérieures. Ce caractère impur leur est toujours imputé aujourd'hui : les hindouistes considèrent que leur présence ou leur contact suffisent même à "polluer" les personnes intégrées dans le système des castes.

Les discriminations sont quotidiennes pour Siddhi et les siens : Un commerçant peut refuser l'entrée de son commerce à un Intouchable pour ce seul motif ; l'entrée au temple leur est interdite ; dans les échoppes de thé et cafés du village, ils n'ont pas le droit de boire et manger dans la même vaisselle que les autres clients. Gare à un Intouchable s'il est pris à se servir dans le puits d'une autre caste.

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