Le dernier rayon fila à travers la cloison en papier de riz avant de disparaître derrière les collines, et la vallée tout entière s'assombrit.
Il n'existe de moment plus calme qu'à l'aube de la nuit...
D'un geste contrôlé, Sidna alluma les chandelles qui trônaient dans le salon. Elle grimpait sur les poutres avec une aisance remarquable, tout en prenant soin de ne pas lâcher des yeux la flamme qu'elle tenait en main. Ses mouvements étaient précis, sa queue recourbée le long de ses pattes, et ses sens en éveil. Rien ni personne n'aurait pu la surprendre.
Une fois la dernière mèche ravivée, elle déposa le bougeoir à même le sol alors que mille lueurs animaient les pans des murs et rendaient beauté à la grandeur de la pièce ; un lieu d'une simplicité remarquable à l'image de tout seïtsu, avec pour seul mobilier une table basse et un service à thé en son centre.
– Bien, approche-toi maintenant.
Takashi ne l'avait pas quitté d'un œil, ou du moins elle le soupçonnait, et elle s'exécuta sans dire mot.
Un sourire discret se dessinait sur son visage. Toute la journée elle avait attendu ce moment. Entre les visites de courtoisie et les vas et viens constants de ses cousins, le salon ne manquait pas d'animation, et il lui arrivait parfois de ne pas se sentir pleinement chez elle... Lorsqu'un inconnu franchissait le seuil, on n'oubliait jamais d'aller la quérir pour faire les présentations, ce qui était une belle perte de temps. Ils venaient toujours pour discuter avec Takashi, non à elle, et elle avait d'autres gnolls à fouetter que de rencontrer le rasal d'une nouvelle vallée dont elle ne connaissait même pas l'existence.
– Qu'as-tu appris aujourd'hui ? lui demanda-t-il de sa voix calme et apaisante.
Elle réfléchit un instant.
– Et bien, Sar' Sally nous a parlé des humains, et des grandes lignées de rois. Il y en a tellement que c'est parfois difficile de s'y retrouver, mais je pense avoir bien compris maintenant, enfin, presque.
– Que veux-tu dire ?
– Je... Il reste encore un sujet qui me dérange. Cela peut paraître stupide, mais je ne conçois pas très bien pourquoi les humains acceptent de vivre sous le règne de leurs souverains...
– Que penses-tu au fond de toi ?
– Qu'ils ne sont pas libres de leurs choix. Chaque dynastie ou presque applique des règles archaïques établies durant la construction des grandes cités et, pour une raison qui m'échappe, cela ne change pas. C'est presque comme s'ils s'étaient résignés d'avoir des rois ne se souciant que de leur propre personne... J'espère que l'on n'aura jamais de seïtsus aussi stupide à la tête de l'assemblée.
– Il y a une part de vrai dans ce que tu dis. Les souverains humains ne sont pas dignes de confiance et sont peu scrupuleux, mais ne t'y méprends pas, ils sont plus malins que ce qu'ils ne laissent paraître. En instaurant un règne de domination, ils accaparent les richesses et gardent leurs sujets isolés. Personne ne peut rien contre ça. Un peuple divisé reste sans danger aux yeux de la couronne, et c'est exactement ce qu'ils recherchent.
– Cela semble si... triste.
– Oui... C'est le cas.
Un léger frémissement se dessina sur le visage de sahi avant qu'il ne récupère son implacable sérénité.
– Ta leçon d'aujourd'hui est terminée, conclut-il.
– Déjà ? Mais on vient à peine de commencer et je ne suis pas encore fatiguée.