Margot a les yeux qui piquent, le cerveau au ralenti et les mains qui tremblent. Elle grimace en se redressant dans son lit avec la tête qui tourne et elle bâille largement en coupant la sonnerie entêtante de son réveil. Il est six heures trente bien passées, elle est en retard – mais comme d'habitude, elle n'a pas réussi à s'endormir hier soir et elle a voulu gratter autant de minutes de sommeil supplémentaire que possible ce matin. Elle se lève en sentant tous ses muscles la tirer et elle saute dans ses fringues maladroitement. Elle manque de s'arracher les ongles sur la braguette de son pantalon et elle maudit son manque d'attention et de réactivité en finissant de lacer ses chaussures. Elle doit aller au collège aujourd'hui – elle n'a pas de cours de prévu ce matin mais elle avait promis à ses sixièmes d'être là pour leur représentation de la pièce de théâtre qu'ils étudient en ce moment avec leur professeur de français et elle ne voulait pas les décevoir. Ces gosses étaient adorables, elle était obligée de l'admettre. Jamais elle n'aurait pensé qu'être prof lui plairait tant. Si on le lui avait dit quand elle était plus jeune, elle aurait probablement ri au nez de l'informateur tant l'idée lui semble saugrenue, même aujourd'hui. Elle n'avait jamais aimé les enfants, peu importe la forme qu'ils prenaient. Grands, petits, filles, garçons, elle les trouvait tous sans intérêt et elle avait été la risée de sa famille quand elle était plus jeune pour avoir refusé de passer son diplôme d'animatrice à dix-huit ans, contrairement à son frère jumeau. Liam, évidemment, avait fait ce qu'on voulait de lui et il avait même obtenu un taff à l'année dans une structure bénévole qui lui donnait une pièce par ci par là quand ils arrivaient à débloquer de l'argent pour lui ; ça faisait la fierté de leurs parents. Liam avait toujours fait la fierté de leurs parents, de toutes façons. Elle avait toujours été le vilain petit canard, elle avait toujours été la fille bizarre, l'enfant un peu nul dont on parle en soupirant. Elle avait fait tout ce qu'il fallait, pourtant, elle avait fait des études, elle était indépendante depuis longtemps – très longtemps, maintenant, puisqu'elle travaillait depuis ses dix-huit ans, elle aussi, certes pas dans l'animation mais en tant que caissière, un taff bien moins valorisé mais bien plus payé. Cependant, elle avait toujours tout fait comme elle le voulait elle et pas comme ses parents lui disaient de le faire. Liam, lui, s'était toujours conformé à leurs désirs. Elle se souvient que lorsqu'ils avaient six ans, leurs parents leur avaient offert des parures de drap pour Noël : Liam avait choisi quelque chose de sobre, de joli, qui lui tiendrait pendant une dizaine d'années et dont il ne se lasserait pas. Elle, elle n'en avait fait qu'à sa tête, évidemment, et avait choisi un truc qui lui plaisait sur le moment mais dont elle s'était lassée très vite. Par punition, ses parents l'avaient fait dormir jusqu'à ses quinze ans dans des draps Winnie l'Ourson. Heureusement qu'elle n'en avait déjà plus rien à foutre à l'époque et qu'elle avait déjà compris qu'elle ne battrait jamais Liam.
Margot offre une caresse à Zorro avant de partir pour le travail et elle sourit quand son chat vient se presser avec de gros ronronnements contre sa main. Zorro était le chat de Liam, d'ailleurs ; elle l'avait juste récupéré parce qu'elle ne voulait pas que ce soient ses parents, qui n'avaient aucune notion de sensibilité animale, qui s'en occupent. Elle aimait Zorro plus qu'elle ne voulait bien l'admettre, à vrai dire. Elle appréciait, à sa plus grande surprise, avoir une présence rassurante et familière qui l'accueillait le soir quand elle rentrait du travail et qui venait dormir avec elle. En plus, Zorro n'était pas pénible, loin de là – comme Liam, Zorro était parfait, un chat parfait, un chat comme on aimerait en avoir quand on est enfant. Il ne mordait pas, ne griffait pas, n'attaquait ni les murs ni le mobilier et était toujours parfaitement propre. Il pouvait rester presque quatre jours tout seul sans jamais être rancunier et il n'avait jamais rien cassé dans son appartement. Ses parents avaient tant complimenté Liam sur son chat quand il le ramenait chez eux pour les vacances, Margot aurait pu en vomir de tous ces compliments, de tout ce qu'on disait sur Liam. Tout était si doux, si sucré, ça avait un goût d'hypocrisie et de moisi. Le moisi subtil, celui qu'on ne sentait qu'après avoir dégluti et qui nous faisait dire qu'on allait être malade le lendemain. Elle n'avait pas toujours ressenti ça – et puis, Liam lui-même lui disait souvent qu'il ne méritait pas tous les compliments qu'il recevait. Bon, dans sa bouche, ça donnait un air de fausse modestie qui le rendait encore plus insupportable – ce garçon avait toutes les qualités, toutes, sans exception – mais, parfois, ça permettait à Margot d'être un peu moins amère. Et puis, au moins, elle, elle était encore en vie. C'était la seule chose qu'elle avait réussi à faire mieux que Liam, d'ailleurs.
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_-L;O\G
HorrorTW meurtre, PTSD, araignées, paranoia, gore, violence verbale & physique, torture, sang R A T I N G X __________________________________________ Quelque chose veut tuer Margot. Reste à savoir quoi.