59 | La vraie définition de l'amour

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ROSALIA

J- inconnu

Heure inconnue

Lieu inconnu

    

Le silence a duré trois mois.

Trois mois durant lesquels il a tenté de me faire oublier ce qu'il était vraiment. Trois mois où le déni de l'horreur m'a fait croire que ses mensonges étaient de douces vérités qu'il fallait avaler sans broncher. Trois mois à espérer que le jeu était fini et que maman allait revenir aussi souriante que d'habitude.

Il m'offrait chaque jour un nouveau cadeau, tantôt de belles fleurs pour décorer ma chambre dans cette maison que je ne connaissais pas, tantôt des ballons pour jouer seule dans les profondeurs de cet île isolée de tout. La maison lui ressemblait, perchée en plein milieu de la mer, vide, impersonnelle et froide.

Ce serait mentir de dire que ses efforts n'ont pas payés.

Je pensais que ses sourires étaient sincères et que ses compliments étaient simplement gentils. Le silence avait eu raison de tout ce que j'avais vu, il me maintenait dans un beau rêve où mon papa n'était pas cet homme qui avait assassinée ma mère, où mon père n'était pas ce monstre qui m'avait arraché à ma vie.

Pourtant, les ombres n'étaient jamais loin de nous.

Il vient de m'appeler pour manger. Son ordre puissant a résonné dans le vide de la villa alors je ne peux pas faire semblant de ne pas avoir entendu. Je corne la page de mon livre et le repose dans l'étagère déjà bien remplie où je l'ai trouvé. 

Je me lève, lisse les plis de ma jupe et quitte le cocon de cette bibliothèque immense qui s'étend sur un pan entier de la maison. C'est le seul endroit de cette villa où je ne me sens pas seule. Les livres m'offrent la compagnie que mon père refuse de nous laisser avoir.

Il répète qu'on est bien mieux tous les deux. Quand il dit ça, j'ai l'impression qu'il tient à moi et ça réchauffe mon cœur devenu si froid.

Je traverse la pièce puis ce couloir silencieux et bien plus que la maison de maman. Ici, tout est immense mais tout est vide. Il dit qu'il n'aime pas les choses inutiles, qu'il préfère se contenter de l'essentiel. Je marche et mes pas résonnent sur le marbre au sol. J'attends la porte de la vaste salle à manger et y trouve mon père, plongé dans la lecture d'un magazine.

— Assied-toi.

Il n'a pas relevé les yeux. Son injonction est sans appel. Je m'avance et m'assoit à ma place, comme tous les jours. Sur ma table, je trouve deux jolies cloches en argent. Papa m'a encore fait un cadeau ! Du haut de mes dix ans, je trépigne d'impatience et lui jette des regards empressés. Je n'ai pas le droit de commencer le repas tant qu'il ne m'en pas donné l'autorisation sinon, il se met en colère et quelque chose en moi sait bien qu'il ne faut jamais le mettre en colère.

Parce que ce quelque chose qui s'accroche à mon âme sait bien quel est le prix a payé pour avoir désobéi.

Dans un bruit de papier, il replie son journal et le pose sur la table. Il plante ses yeux dans les miens. Je baisse le regard car les pupilles de papa sont trop dures à soutenir. Il ferait peur s'il était un méchant mais les vilains dans les livres n'offrent pas de cadeaux et de beaux sourires à leur enfant : c'est pour ça que je sais qu'il ne peut pas être comme eux.

— Soulève la première cloche.

Je m'exécute. De ma petite main, j'attrape l'anse en métal et soulève le couvercle. Je salive devant l'assiette garnie qui se cache en-dessous. Je suis une gourmande et maman me le reproche souvent. La pièce de viande est énorme et l'odeur délicieuse. Je relève la tête vers papa et lui demande silencieusement si je peux manger.

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant