La journée touchait à sa fin alors que j'étais assise comme à mon habitude au dernier rang de l'amphithéâtre de ma classe, près de la fenêtre. En cet instant, je n'étais plus très attentive au cours de droit civil dispensé par le professeur. Au bas des marches, celui-ci notait à grand renfort de coups de craie et de recommandations un certain nombre de références littéraires dont chacun devrait s'acquitter de lire d'ici la période des examens. Cela ne m'empêchait pas de n'y prêter que peu d'attention. En réalité, je me demandais ce que j'allais bien pouvoir faire de ma soirée même si je connaissais déjà la réponse. Comme chaque vendredi, je ne manquerais pas de faire un saut à la petite épicerie du coin de la rue. Celle-là même où on ne trouvait que l'essentiel. Car si je devais compter sur les maigres victuailles qui traînaient en cet instant dans mon frigo j'aurais tôt fait de devoir ressortir pour calmer la faim qui finirait immanquablement par avoir raison de moi. Ensuite, je rendrai visite à mon père qui vivait à deux pas, histoire de l'embrasser et d'écouter le récit qu'il n'oubliera pas de faire au sujet de sa journée de travail. Pour finir, je rentrerai et passerai la soirée à étudier ou regarder un film quelconque à la télévision avant de me coucher tôt. Pour être sincère, ce programme n'était pas différent des précédents vendredi, mais il me convenait très bien !
Le ciel de Paris avait été gris la plupart du temps en ce mois de février! La pluie n'avait cessé de s'abattre depuis trois jours, à mon grand désespoir. J'avais horreur de cette période de l'année, froide et terne. Rien n'arrivait à me faire oublier la grisaille et les températures basses de ce début d'année, ni la neige pourtant belle qui était tombée en grand nombre, ni les sports d'hiver plaisants que l'on pouvait pratiquer à cette époque. J'avais hâte que les beaux jours reviennent enfin !
- Emma ! Tu rêves ? me glissa à l'oreille ma voisine de cours en même temps qu'elle me donnait un léger coup de coude dans le bras.
Je sursautai et mon regard quitta à regret la fenêtre pour revenir un instant dans la classe et se poser sur Clémence.
- Non, non.
- Ouai c'est ça ! Tu viens boire un verre à la fin des cours ?
Clémence était pour ainsi dire la seule personne que je côtoyais régulièrement en dehors d'ici. Une fois n'est pas coutume, je m'étais liée facilement d'amitié avec elle, probablement parce qu'elle ne me jugeait pas et qu'elle respectait ma façon d'être. Elle m'avait cernée mieux que personne en un temps record et ne se formalisait jamais de mon air rêveur et renfrogné. D'ailleurs, elle comprit tout de suite la signification de la grimace que je lui adressai et après m'en avoir rendu une en retour elle reporta sans insister son attention sur le prof. Je continuai à la regarder quelques instants. Pleine de vie et toujours souriante, on ne pouvait qu'apprécier cette fille ! Même s'il était impressionnant de constater à quel point nous étions différentes elle et moi, nous nous entendions bien ! Elle essayait fréquemment de me sortir de ma "petite vie bien rangée" et n'avait de cesse de me répéter que je devais utiliser ma beauté pour faire des ravages pendant qu'il était encore temps ! Elle, en tout cas, ne s'en privait pas !
Prenant exemple sur Clémence, je tentai de m'intéresser à ce qui se passait autour de moi et découvris que la plupart des étudiants n'avaient pas l'air très attentifs à la fin du cours. Peu d'entre eux prenaient la peine de retranscrire les notes sur leur propre carnet. Je réalisai avec un sourire en coin que même le prof donnait l'impression d'avoir hâte que la semaine se finisse ! Il se pressait de terminer ce qu'il avait à dire sans se soucier de l'impact de son discours.
La sonnerie annonçant la fin des cours résonna soudain, interrompant mes pensées. La plupart des étudiants n'attendirent pas une minute de plus pour dévaler les marches et se diriger vers la porte dans un tintamarre assourdissant, Clémence en faisant bien évidemment partie. Je la vis m'adresser un petit signe de la main juste avant qu'elle ne disparaisse dans le couloir. Quant au prof, il se pressa d'effacer ses ultimes écrits du tableau, de saisir son porte-document et de saluer les derniers étudiants encore présents avant de quitter la classe à son tour.
Je me levai pour ma part sans précipitation tout en jetant des coups d'œil par la fenêtre. Je contemplai, fascinée, la cour complètement vide quelques minutes auparavant se remplir d'élèves. À dix-neuf ans un vendredi soir, je ne doutais pas que peu d'entre eux allaient finir leur soirée sagement chez eux. Mais je n'avais jamais réellement eu les mêmes centres d'intérêt que les jeunes de mon âge. Je devais reconnaitre que j'étais plutôt solitaire et peu bavarde et que l'on pouvait même me qualifier de renfermée. Le fait de vouloir et apprécier être seule n'avait rien à voir avec un mal-être ou quelque chose de ce genre. Je ne trouvais simplement pas mon compte dans les distractions et les relations... ni ma place.
Paris était pourtant une ville vivante et éclatante où les activités de toutes sortes ne manquaient pas, surtout à mon âge. Mais mon petit appartement sous les toits à quelques rues de là était l'unique endroit où j'aimais vraiment être, mon refuge en quelque sorte. Mon père avait offert de me le louer dès le début de mes études et cela faisait maintenant deux ans que je m'y étais installée. J'avais pris le temps de le décorer avec soin, créant dans cet espace un lieu douillet et agréable. Au départ, je n'avais jamais émis le désir de vivre ailleurs que dans l'appartement familial. Mon père n'étant pas du genre envahissant. Mais lorsqu'un de ses amis lui avait parlé de ce logement, il avait insisté lourdement pour me le louer. Son idée étant de me permettre de profiter un peu plus de ma jeunesse ! Persuadé qu'en ayant mon propre chez moi, je finirais immanquablement par y inviter du monde.
Face à son obstination, j'avais finalement été contrainte d'accepter ! Et je devais bien admettre qu'il avait eu raison sur un point, j'étais contente de mon indépendance. Par contre, il s'était vite rendu compte que cela n'avait rien changé à mes habitudes solitaires ! Je savais qu'il se demandait si au fond, il n'était pas un peu responsable de mon comportement.
- Tu es une si belle et agréable jeune femme Emma ! Cela doit être facile pour toi de te faire des amis ! ne pouvait-il s'empêcher de me rabâcher lorsqu'il me voyait.
- Ça n'a rien à voir ! Je préfère juste être seule. Ne t'inquiète pas pour moi ! Je vois bien assez de monde en cours, cela suffit largement à combler mes besoins de contacts humains ! Crois-moi!
Je savais qu'il essayait de me faire réagir, mais quand la conversation s'engageait sur cette voie, je l'embrassais et m'éclipsais, sans demander mon reste. J'évitais ainsi les immanquables conseils "pour se faire des amis" et l'importance de "profiter de sa jeunesse" qu'il ne pouvait se retenir de me servir.
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Tout a changé ce jour là!
Roman d'amourEmma a encore de la peine à croire au changement radical de sa vie, à son "changement". Elle a dû tout laisser derrière elle sans pouvoir le décider. Oui, mais à présent elle l'a, lui! Malgré tout elle va avoir besoin de dire au revoir à son passé p...