Alix s'était allongée dans l'herbe verte. Il faisait bon, pour une soirée d'avril. Le printemps commençait doucement à revenir. Les odeurs réconfortantes, la chaleur solaire, les bruits de la nature et cette omniprésence de couleurs, qui avaient abandonné son univers, étaient de retour.
Enfin, non. Le vert, lui, n'était jamais vraiment sorti de sa vie.
Les pupilles tournées vers le ciel, Alix scrutait les étoiles. Elle se demandait si elles aussi, de là-haut, l'observaient. Cela la fit rire. Elle imaginait des milliers de petites étoiles jaunes avec de gros yeux globuleux. Non, pas jaunes. Dorées. C'était plus classe.
Elle entendit son téléphone vibrer, à quelques centimètres d'elle. C'était sûrement Ava. Après tout, c'était la seule à l'appeler. Mais elle ne bougea pas. Elle n'avait pas envie de parler ce soir. Elle voulait juste profiter du calme de la soirée.
Alix passa sa main dans ses cheveux. Elle s'était fait un carré, sur un coup de tête. Au moins, elle ne perdait plus de temps le matin à devoir dompter sa tignasse. Un coup de brosse et elle était prête à sortir, maintenant.
Elle roula tout à coup sur le ventre, son nez atterrissant en plein dans l'herbe. Nouveau rire. Il lui en fallait peu, ce soir. Elle attrapa la bouteille près d'elle et redressa la tête, suffisant pour avaler une gorgée, mais trop peu pour éviter de faire couler le liquide sur son menton.
— Zut...
Elle se remit sur le dos et s'essuya avec son bras. Ses paupières se fermèrent sans qu'elle ne puisse les empêcher, et son esprit vagabonda dans un rêve sans queue ni tête. Elle y voyait Ava, un maquillage de clown sur le visage, en train de faire du monocycle sur les rails d'un chemin de fer. Elle semblait lui parler, mais les seuls sons qui sortaient de sa bouche étaient les hurlements d'un singe.
Ava, le petit singe sur un monocycle.
Alix se réveilla dans un fou rire. Elle dut s'asseoir pour se calmer, et lorsqu'elle réussit après quelques minutes, elle fixa un instant ses pieds.
À quelques centimètres de ces derniers, des cadavres verdâtres jonchaient le sol, la narguant. Dans un moment de conscience, elle les rassembla pour les glisser dans le sac en tissu qu'elle avait emmené avec elle. Le bruit du verre s'entrechoquant brisa le silence de la nuit, mais elle ne s'en inquiéta pas. De toute façon, ses parents n'étaient jamais là, et ce n'était pas ses voisins qui allaient l'entendre et raconter à ses géniteurs qu'elle était ivre morte un soir de semaine.
Enfin, pas seulement un soir de semaine. Tous les soirs, en fait. Cela déclencha un nouveau rire.
Alix se leva avec difficulté, et lorsque sa tête arrêta de tourner, elle se pencha pour attraper son portable et fila à l'intérieur. Il était temps d'aller dormir. C'est qu'elle avait cours, le lendemain.
Un arrêt au garage pour jeter les cadavres de bouteilles dans la benne. Elle commençait à être bien pleine, mais les éboueurs devaient passer dans la semaine. Dans le pire des cas, même si ses parents rentraient à l'improviste, elle pourrait toujours dire qu'elle avait organisé une soirée. Et puis, ce n'était que des bouteilles de bière.
Du moins, si l'on ne regardait qu'à cet endroit.
L'escalier fut un peu difficile à monter. Heureusement qu'il y avait une rambarde. Alix s'y accrochait pour monter les marches une à une, se motivant en songeant au moelleux de son matelas. Plus que quelques mètres, et elle pourrait s'y jeter sans aucune délicatesse, avant de plonger dans un sommeil de plomb.
— Aïe !
Elle avait mal négocié le virage en haut de l'escalier, et l'angle bétonné ne lui avait pas fait de cadeau. Elle bougonna une seconde et se dirigea vers sa chambre, tout en s'appuyant sur le mur. Une fausse manœuvre lui fit s'accrocher dans un cadre, qui se détacha et vint s'écraser sur le sol, éparpillant des bris de verre dans toute la longueur du couloir.
— Merde...
Soudainement attentive, Alix fit de son mieux pour éviter les morceaux. Elle était pieds nus, et ne tenait pas à s'entailler. Il ne manquerait plus qu'elle laisse de grosses traces de sang sur le parquet. Elle nettoierait le tout demain ; ce soir, elle n'était bonne à rien.
Elle parvint miraculeusement saine et sauve jusqu'à sa chambre, et bascula sur son lit. La lumière de la lune perçait à travers sa fenêtre, éclairant la pièce d'une lumière fantomatique. Elle fixa un instant son plafond, avant de fermer les yeux à cause d'un mal de tête qui commençait à apparaître.
Il faut parfois soigner le mal par le mal. Elle tendit sa main vers le sol, et ses doigts attrapèrent la bouteille de vodka qu'elle avait entamée la veille. Une, deux, trois lampées, et la bouteille reprit sa place, bien à portée de main. On ne sait jamais.
Alix se tourna sur le côté et se recroquevilla en fermant les paupières. Cela allait encore être une nuit difficile. Mais après tout, elle était habituée, maintenant. Il suffisait de faire semblant que tout allait bien demain, et le tour serait joué. Elle serait peut-être un peu à cran, mais son entourage connaissait son caractère difficile, depuis le temps.
Oui, personne ne verrait rien. Alors Alix recommencerait le lendemain, et le surlendemain, et tous les autres jours à venir.
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Toutes les couleurs de l'arc-en-ciel
Teen FictionElsa. Ava. Noah. Alix. Solène. Mathéo. Six vies qui ne font que se croiser, s'effleurer, dans les couloirs du lycée. Les sourires sont des masques, les blessures sont cachées. Ils sont toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Les tristes couleurs de l'...