La bonne odeur des plats mijotés par mon père me mit l'eau à la bouche dès que je franchis la porte de chez lui le lendemain. Je n'avais pas très bien dormi. J'avais la sensation d'avoir fait des cauchemars sans toutefois pouvoir m'en souvenir. Je me sentais atrocement fatiguée, mais n'avais pas voulu décommander.
- Je suis là papa !
J'entendis du raffut provenant de la cuisine. Je mis ma veste sur le portemanteau déjà bien encombré par les affaires de mon père ! Le rangement n'avait jamais été son fort mais maintenant que je ne vivais plus ici, cela ne me posait plus vraiment de problèmes et je m'abstenais désormais de faire des remarques. Je déposai mon sac à main sur le buffet où trônaient de vieilles photos de ma mère la saluant machinalement, une habitude que j'avais gardée depuis mon enfance et j'entendis la voix de mon père qui me parvint du fond du couloir.
- Je suis dans la cuisine ma chérie, viens me rejoindre.
Cuisiner était une véritable passion pour lui et il pouvait passer des heures à faire mijoter des plats. Je m'empressai d'aller le voir et le trouvai sans grande surprise affairé à découper des légumes. Je déposai un baiser sur sa joue au passage et allais m'asseoir à la table de manière à pouvoir continuer de le regarder.
-Tu sais quoi ? dit-il après s'être penché afin de me donner lui aussi un baiser sur la joue. Je me suis inscrit à des cours de cuisine !
- Ah bon !
- Oui. Une fois par semaine, un cuisinier fera une démonstration de plat devant une vingtaine de personnes qui devront ensuite essayer de faire la même chose.
Il disait cela d'un ton tellement enjoué que je me mis à rire.
- Mais arrête de te marrer, c'est du sérieux !
Il me regarda par-dessus son épaule.
- Tu rigoleras sans doute moins quand mes plats te feront fondre de plaisir !
- Tu sais bien que c'est déjà le cas ! Mais c'est une excellente idée papa. Je suis bien contente que tu te décides à occuper tes soirées.
Je me disais qu'avec un peu de chance il allait se faire de nouveaux amis à ce cours et que cela lui ferait une nouvelle activité qui le sortirait un peu de sa routine.
Il allait bientôt fêter ses quarante-huit ans. Il était plutôt grand et athlétique pour son âge. Il avait les tempes légèrement grisonnantes depuis quelque temps, ce qui lui conférait un charme certain. J'étais persuadée qu'il devait plaire aux femmes ! Je me rendais compte que durant toutes ces années il n'avait jamais laissé paraître d'indices au sujet d'une éventuelle rencontre. Je n'étais pas suffisamment naïve pour croire qu'il n'avait jamais fréquenté personne, mais en tous les cas il ne m'en avait jamais parlé.
Je n'aurais pas été contre le fait que mon père refasse sa vie. J'aurais même trouvé cela plutôt normal au bout de toutes ces années! D'autant plus que c'était un homme vraiment gentil et qu'il méritait mieux que la vie solitaire dans laquelle il s'était enfermé. J'étais d'avis qu'il n'avait probablement jamais su comment aborder cela avec moi et que j'avais bien évidemment évité le sujet moi aussi, par pudeur.
Pour ma part, je n'avais jamais ramené de petit ami à la maison. Aucune histoire n'avait été suffisamment digne d'intérêt pour qu'elle vaille la peine de franchir ce cap. Mes histoires de cœur n'avaient pas été très nombreuses ni très sérieuses de toute manière. J'étais donc toujours restée discrète à ce propos. Lorsque mon père avait des doutes parce que je sortais plus qu'à l'ordinaire et qu'il insistait pour savoir, je lâchais quelques informations sans intérêt pour qu'il cesse de me questionner. Par la suite, au détour d'une conversation je lui signifiais simplement que ma relation était terminée et les choses en restaient là.
Ma dernière histoire datait de peu de temps. Mon père n'avait même pas eu le loisir d'en entendre parler. La personne avec qui j'étais sortie étudiait dans la même université que moi et se prénommait Pierre. C'était bien entendu lui qui m'avait abordée. Comme je le trouvais plutôt charmant et gentil, j'avais accepté de sortir plusieurs fois en sa compagnie. Mais j'avais rapidement mis un terme à cette relation sans savoir ce que je lui reprochais vraiment. J'étais incapable de me forcer, ça avait toujours été le cas que ce fût en amour ou pour toute autre chose.
Le repas fut délicieux comme toujours. Nous mangeâmes dans la pièce attenante à la cuisine. Mon père prenait plaisir à mettre les petits plats dans les grands le dimanche. L'endroit était lumineux et convivial et une imposante table en verre trônait en son centre. Plusieurs meubles massifs surmontés de multiples photos de famille finissaient de rendre ce lieu accueillant.
Nous discutâmes essentiellement de mes études. Il était fier que je fus à l'université pour étudier le droit. En réalité, c'était en grande partie pour lui faire plaisir que j'avais entamé ces études. Je m'étais laissé convaincre, il y avait plusieurs années, de me lancer dans cette voie. À cette époque, j'avais hésité entre plusieurs autres choix sans qu'aucun ne m'ait attiré plus qu'un autre. Par facilité, j'avais pris l'option qui avait le plus plu à mon père. Ma facilité d'apprentissage avait comblé mon absence de motivation et j'étais passée en deuxième année sans grandes difficultés.
À présent, je m'étonnai d'apprécier de plus en plus l'idée de devenir avocate. Mon père était fier de la jeune femme que je devenais : mature, responsable et magnifique, selon ses termes ! Il ne manquait d'ailleurs jamais une occasion de me le rappeler. Selon lui, je ressemblais de plus en plus à ma mère avec mes longs cheveux bruns, mon teint clair et mes grands yeux marron pétillants de vie.
Après le repas, nous passâmes le début d'après-midi confortablement installés dans un canapé, devant une émission de télévision. Et plus tard, je pris congé afin de rentrer chez moi. Sur le chemin du retour, malgré moi, j'eus l'irrésistible besoin de faire un détour. Sans savoir ce qui me poussait à faire ça, je me retrouvai à l'endroit où j'avais vu, ou cru voir, l'inconnu d'hier. Je savais pourtant pertinemment qu'il n'y avait pas la moindre chance de l'y croiser à nouveau. Pourtant je n'avais pas pu faire autrement au même titre que d'y songer un nombre incalculable de fois. La manière insistante dont il m'avait regardée... Son attitude étrange, comme si, bien que je savais que ce n'était pas le cas, il me connaissait !
Bien entendu, une fois sur place je m'aperçus rapidement qu'il n'y avait personne et m'en voulus d'avoir cédé à cette envie stupide. Tout en pestant intérieurement contre moi sur le trajet du retour, je tentai tout de même, de trouver une explication logique au comportement de cet homme. Il avait sans doute dû me confondre avec quelqu'un, ou peut-être s'était-il retrouvé perdu et avait simplement été surpris en me voyant.
Tous ces arguments me semblaient plausibles, bien que je n'y crus pas une seule seconde...
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Tout a changé ce jour là!
RomanceEmma a encore de la peine à croire au changement radical de sa vie, à son "changement". Elle a dû tout laisser derrière elle sans pouvoir le décider. Oui, mais à présent elle l'a, lui! Malgré tout elle va avoir besoin de dire au revoir à son passé p...