64 | Faire semblant de comprendre

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ALEXANDER

J+ 9

03h14

Villa Spinam, île inconnue, Mer Ligure

               

Quand la ville s'endort, ce sont les ombres qui se réveillent, à ceux dont le monde ignorent même jusqu'à l'existence. La nuit est réservée à ceux qui ont faim de danger.

Pourtant, le pauvre plat de pâte que je me suis avalé avant de sauter dans cet hydravion apprêté à Florence pour notre usage privilégié, n'arrive pas à combler la faim dévorante qui m'étreint l'estomac. Dans quelques heures, tout sera fini. Les mises seront ramassées par celui qui aura su terrasser l'autre et puis plus rien.

Il y aura un vainqueur et il y aura un cadavre.

L'avion amorce son amerrissage avec douceur, plongeant vers l'étendue obscure de la mer Ligure dans un doux ronronnement du moteur. La villa apparaît alors dans mon champ de vision, château indécent au cœur d'une forêt luxuriante. L'éclat de la lune rend le moment particulier et dans l'air, autour de cette île, flotte le parfum du danger.

Hayden est silencieux dans le siège près du mien tandis que Rose est encore au téléphone avec un indic censé lui fournir la position de Grimaldi qui s'approche à chaque heure de nous. Les deux n'ont rien dit quant à leur nuit partagée et je ne sais pas si ça me blesse plus que je ne le suis déjà. Cependant, je n'imaginais qu'ils arriveraient si bien à jouer les innocents à seulement quelques mètres l'un de l'autre.

En fait, non. Les tressautements de la mâchoire d'Haydy quand Rose passe à hauteur sont révélateurs. Il essaye de saisir le peu qu'elle consent à lui laisser garder parce que la plus grande obsession de Rosalia ce n'est pas la vengeance. C'est ce blond aux cheveux presque blanc, cette statue de glace vêtue de noir qui ne vit que pour elle, qui accepte toutes les règles imposées arbitrairement rien que pour pouvoir vivre auprès d'elle.

Un jour, elle comprendra.

Quand l'hydravion touche les vagues, l'habitacle se secoue et je sursaute sur mon siège. Je jette un coup d'œil à travers le petit hublot mais rien n'en ressort si ce n'est cette mer noire comme la nuit qui me nargue de ses reflets argentés. Je me lève à la suite des deux chauds lapins, relève mes mèches rousses sur mon front et ressert ma veste sur mes épaules.

Mes pensées sont toutes tournées vers ma Cecilia qui, vu l'heure, sera bientôt de retour à la maison, entre mes bras. Elle sera en colère d'avoir appris la vérité sur la violence subie par sa sœur. Elle m'en voudra, c'est certain mais j'espère qu'elle comprendra que je ne pouvais rien faire d'autre que lui cacher la vérité.

Le plan peut sembler cruel car il l'est. Pourtant, ils le savaient et ont quand même acceptés. Ils connaissaient les risques et faire semblant de ne pas saisir le danger caché dans ses paroles, c'est être hypocrite. Nous vivons dans un monde violent, la violence fait partie de qui nous sommes. Nous aurons beau l'enfouir le plus loin possible, c'est elle qui nous a forgé et qui nous forgera jusqu'à la fin.

Ad vitam eternam, comme disent ces branleurs de latinistes.

Je savais que Cece aurait mal mais j'ai dit oui car c'est un devoir de rendre à Rosalia la liberté qu'elle nous a offerte au prix de tellement de blessures. Devo lealtà a mia sorella.

Nous nous avançons vers le balcon au-dessus des flots sur une petite barque orange qui ne flatte pas notre image de mafieux terrifiants et diablement séduisants. Le pilote de notre avion s'éloigne déjà dans le ciel, pressé de quitter les lieux d'un crime à venir. Cette fois, Regina et Marco ne seront pas là non plus pour nous accueillir. Il n'y aura que nous sur cette île de malheur et ce jusqu'à l'arrivée du Lion.

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant