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Votre dévouée chroniqueuse s'est laissé dire que lord Benedict Bridgerton n'aurait plus mentionné une seule fois, hier soir, qu'il n'avait pas la moindre intention de convoler en justes noces après avoir dansé avec la très spirituelle miss Devereux.

LA CHRONIQUE MONDAINE DE LADY WHISTLEDOWN, 30 AVRIL 1813


Le lendemain en début d'après-midi, Benedict se trouvait sur le perron de la maison des Devereux, actionnant d'une main le heurtoir de cuivre, tenant dans l'autre un énorme bouquet de tulipes qui lui avait coûté une fortune. Presque immédiatement, un majordome vint ouvrir la porte.

- Si monsieur veut bien me suivre, murmura-t-il.

Il connaissait bien Benedict, tout autant que les autres membres de la famille Bridgerton qui étaient les bienvenus ici. En revanche, Benedict ne s'attendait pas au spectacle qui s'offrit à lui lorsqu'il fut introduit dans le salon des Devereux. Margaret, drapée de soie bleue, était assise sur le bord d'un canapé, le visage éclairé d'un sourire radieux.

La vision aurait été des plus charmantes si la jeune femme n'avait pas été entourée de cinq ou six prétendants, dont l'un avait poussé le zèle jusqu'à tomber à ses genoux pour lui déclamer un poème. 

Benedict observa le tableau avec un brin d'agacement. Il posa les yeux sur Margaret, laquelle couvait d'un regard patient le poète à deux sous, et attendit qu'elle remarque son arrivée. Elle n'en fit rien, elle continuait de sourire mais pas à lui. Benedict s'aperçut alors que sa main libre s'était refermée en un poing serré.

- Celui-ci, enchaîna le poète d'un ton grandiloquent, je l'ai écrit hier soir en votre honneur.

Benedict laissa échapper un grognement. Il avait reconnu dans le dernier poème une variation assez prétentieuse d'un sonnet de Shakespeare, mais il craignait de ne pas supporter une œuvre plus personnelle.

- Tiens ? Lord Bridgerton !

Levant les yeux, il vit que Margaret avait enfin remarqué sa présence. Il la salua d'un hochement de tête.

- Miss Devereux.

- Quelle bonne surprise ! s'exclama-t-elle, un sourire lumineux aux lèvres.

Même si cette visite n'avait rien d'une surprise, il préférait largement cette accueil. Rajustant sa prise sur son bouquet, il se dirigea vers elle... pour constater que trois jeunes gens se trouvaient sur son chemin, nullement décidés à lui céder le passage. Benedict toisa le premier d'un regard glacial. Aussitôt le gamin - pas plus de vingt ans - se mit à tousser, avant de détaler vers le premier siège libre.

Benedict s'apprêtait à poursuivre sa progression, déterminé à appliquer la même méthode sur le second obstacle, lorsque lady Devereux apparut devant lui, parée d'une robe indigo et d'un sourire aussi rayonnant que celui de Margaret.

- Lord Bridgerton ! s'écria-t-elle. Quelle joie de vous voir ! Votre présence nous honore.

- Tout le plaisir est pour moi, murmura-t-il en prenant sa main gantée pour l'effleurer de ses lèvres.

Un soupir jaillit des lèvres de la comtesse.

- Ces fleurs sont magnifiques ! s'extasia-t-elle. Elles doivent au moins venir de Hollande ! Je suis sûre qu'elles vous ont coûté horriblement cher.

- Maman ! protesta Margaret en retirant sa main de celle d'un adorateur plus audacieux que les autres. Que voulez-vous que Benedict réponde à cela ?

- Lui dire combien je les ai payées ? suggéra le jeune homme.

La raison et les sentiments | BRIDGERTONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant