Après la pluie

65 | Débris intangibles

Sans doute aurais-je préféré rester dans l'ignorance. L'obscurité totale. Le déni. Aussi aveugle que sourde.

En es-tu sûre, Charlie ?

Je...

Tout allait pour le mieux – me semblait-il – mais force est de constater que ce tout est capable de basculer en un instant. Je le sais. Vous aussi. Oui, que cela peut toujours dégénérer. Être pire. Car...

Tu...

— Prête ? s'enquiert Elijah, son index glissant sur mon épaule de cette manière que j'aimais tant.

Lentement, avec toute la délicatesse dont il sait faire preuve à mon égard, qu'importe qu'il soit Luke ou non. Cette tendresse m'ayant portée encore et encore. Pourtant...

NE ME TOUCHE PAS !

Je voudrais hurler ces mots, le repousser, partir, m'enfuir. Cependant, prise au piège, j'opte pour la façade acquise au fil des mois, dissimulant mon trouble avec brio. Ma détresse née des derniers mots d'Ignacio, cette agonie, il ne doit en aucun cas s'en rendre compte. Puisque...

Il...

La confiance est une entité fragile, n'est-ce pas ? Certains, d'ailleurs, ne savent pardonner en dépit de leurs efforts. Leur volonté d'aller de l'avant. Lorsqu'elle est brisée, c'est toujours définitif et je ne peux que le comprendre. Après tout, peut-on réellement recoller des morceaux de soi ? Les débris intangibles ? Quand la peine est trop grande, le préjudice infiniment profond, le doute ancré, la haine inéluctable, comment...

Nous...

— Je le suis, affirmé-je, échangeant un bref regard avec le meilleur ami de mon père avant de me détourner, désespérée.

QU'AS-TU RÉELLEMENT PRÉVU ?!

Celui que ce dernier me renvoie en dit long. Il ignore l'ampleur de mon supplice, néanmoins il a capté mon désarroi juste avant que la porte du bar ne s'ouvre sur un sous-fifre et le second du diable. Mes ongles agrippés au bois du comptoir... mon souffle m'échappant et mes yeux écarquillés étant d'une limpidité totale, évidemment. S'il avait été au courant, aurait-il parlé ? Répondu à mes questions ? Étant donné que...

Vous...

Une décontraction de façade épinglée sur le visage, je m'oblige à me lever, espérant que mes jambes joueront le jeu, faisant fi de mon pouls erratique. Déraisonnable. Douloureux. Tant et si bien que je risque de m'effondrer sans que personne n'en comprenne la raison. Comme...

Ils...

Venir au stand de tir dans l'espoir que Noah et l'homme que j'aime créent des affinités, il s'agissait de mon idée. Je l'ai crue brillante, en toute sincérité. Le soldat n'ayant nul besoin de craindre Elijah, à contrario des autres. Du moins l'ai-je naïvement pensé, stupidement sûre de moi. Lui. Celui que...

SAURAIS-JE UN JOUR LE VÉRITABLE FOND DE TA PENSÉE ?!

Le laissant emmêler nos doigts de cette façon coutumière dont je me suis si souvent languie, je réprime un assaut de larmes – une explosion – au profit d'un sourire d'une rare fausseté, incertaine. Après tout, jusqu'à ce soir, il me venait avec un naturel déconcertant rien qu'en le regardant.

Je... peux comprendre.

Saluant Ignacio d'un signe du menton – car incapable d'articuler un mot supplémentaire au risque de me trahir – je suis entraînée dans le sillage d'un amant discutant avec l'ami sans feindre sa bonne humeur. En apparence, tout du moins. Désormais, je ne suis plus sûre de quoi que ce soit.