66 | Je suis devenu sa famille

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ALEXANDER

J- inconnu

Heure inconnue

Lieu inconnu

          

La première fois je l'ai détesté sans sentir venir le danger. La seconde fois, j'en eus peur sans comprendre l'avertissement. La troisième fois, elle fêtait ses quinze ans et choisissais comme cadeau la mort de notre père.

C'était une petite fête aux allures d'enterrement. Nous trois autour d'une table, face à un gâteau rose bonbon qui apparaissait ridicule face à la petite fille si sombre qu'elle était, un silence encombrant qui nous collait à la peau et une rage sous-jacente chez chacun d'entre nous.

Un enfant naïf. Un futur cadavre. Un nouveau monstre en robe bleue.

Il avait décidé de s'attribuer le rôle du père généreux pour ce goûter d'anniversaire. Penché par-dessus la nappe à pois, il commençait à découper le gros gâteau en parts égales. Son sourire était mesuré et le sien était absent. Je lui jetai quelques coups d'œil par-dessus de mon verre de jus de pomme mais détournai vite le regard quand je sentais qu'elle allait me regarder à son tour.

Elle ne ressemblait plus à la petite fille chétive du premier jour : ses traits s'étaient durcis et son esprit s'était aiguisé. En un peu plus d'un an, elle était devenue le portrait craché de son père. Plus simplement une copie mais une réplique parfaite. Froide, insondable et manipulatrice.

La pelle à tarte qu'il avait dans la main ne ferait pas le poids face à l'arme qu'elle cachait sous sa cuisse mais ça, il ne le savait pas encore.

— Quel cadeau une enfant aussi parfaite que toi souhaite, ma petite rose ? demanda-t-il soudain, la voix mielleuse.

Ce fut alors au tour de Rosalia de s'avancer sur sa chaise pour sceller son regard métallique dans celui d'une Épine bientôt arrachée. Il n'y avait plus rien d'humain chez elle et je compris avec surprise que je n'avais pourtant plus peur d'elle.

— Devine.

Le rictus de notre père devint dangereux mais le sien était toujours absent.

— Un chaton ?

Elle ne bougeait pas d'un millimètre, ne trahissait aucune peur alors que c'était sans aucun doute la première fois qu'elle osait se montrer aussi impertinente avec lui, la première fois qu'elle avait le courage de répondre. Au fond, il n'avait jamais attendu que ça parce qu'il n'aurait eu que faire d'une rose qui ne mettait jamais à piquer. Sa seule valeur reposait dans sa capacité à infliger la douleur à d'autres.

— Bip. Mauvaise réponse.

C'était la première fois depuis qu'il était mon père qu'une ombre aussi étrange passait dans son regard. Il s'était figé et la part de gâteau était désormais suspendu dans le vide. Mes yeux suivirent la miette qui s'écrasa sur la flamme d'une bougie encore allumée. L'odeur de brûlé d'abord. Ensuite, le bruit caractéristique de la sécurité d'un pistolet qu'on ôte.

— Considère ceci comme la preuve de mon amour.

J'aurais aimé qu'elle le tue plus vite, sans lui laisser le temps de répandre son venin en nous. Quelque part, je savais que mon père n'était qu'un monstre ; j'avais simplement cru que s'il ne l'était pas avec moi, il ne méritait pas de mourir.

Au fond donc, je comprenais le geste de cette sœur qui avait pointé sans sourciller le canon d'un SIG-Sauer vers la tempe de son père et si j'avais été plus courageux, je l'aurais fait le jour où il l'avait fait entrer dans ma vie, le jour où j'avais compris à quel point il savait se montrer cruel.

— Tu ne le feras pas. Tu es lâche, Rosalia. Comme ta mère.

Je n'avais jamais pensé à ma mère et je n'avais jamais pensé qu'elle avait une mère. Pour nous deux, c'était comme s'il n'y avait jamais eu que ça. Une villa sur une île et un père monstrueux pour elle. Une maison sur la montagne et deux pères hypocrites pour moi.

— Au contraire : je suis un monstre. Ne l'oublie pas.

Il attrapa son autre main en faisant glisser la sienne sur la table. Son pouce se mit à caresser la paume de sa fille mais elle ne tremblait pas alors que lui souriait encore.

— Je sais ce que tu cherches à faire mais tu n'y arriveras pas.

On ne naît pas monstre.

— Tu auras beau me tuer, tu n'arriveras pas à te suicider, ma Rosy. Tu ne m'oublieras jamais.

On le devient en se sacrifiant pour le bien.

— Quasi rosa spin...

Sa cervelle a explosé avant qu'elle n'en entende plus.

Après ça, je suis devenu la seule famille qu'elle avait et il lui a fallu quatre ans pour qu'elle ait le courage de me raconter tout ce qu'elle avait vécu.  

                          

                                   

NÉMÉSIS | LES ROSES DE ROME T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant