À l'autre bout du fil

Chapitre 4

Le lendemain de la soirée, une légère migraine habitait l'arrière de la tête de Sakura. Sa gorge laissait difficilement passer l'air entre ses tissus secs. Les quelques faibles rayons provenant de la fenêtre semblaient l'aveugler et lui brûler la rétine. Sans surprise, elle avait une gueule de bois, pas que les sept vulgaires shots soient en cause. Si son cerveau embrumé dans sa déshydratation devait déterminer la consommation de trop, il miserait plutôt sur les trois bouteilles de saké que ses mains avaient machinalement portées à sa bouche. Au bar, elle avait eu honte de sa technique d'évitement. Pourtant, ce sentiment avait vite été remplacé par ce désespoir la grugeant. La médecin avait résisté au début, évidemment. Toutefois, personne n'était là pour surveiller l'épave qu'elle devenait et c'était probablement l'argument qui l'avait amenée à laisser ce remède temporaire l'infecter. Personne ne serait là pour la voir chanceler ou s'effondrer sur le parquet. Il n'y aurait qu'elle pour observer son esprit tenter de fuir la douleur refoulée qui la consumait. C'était mieux ainsi. Yugao et Hayate reprenaient leurs fonctions dans les ANBU, la ninja n'avait pas à mettre plus de poids sur les épaules. Idem pour Genma qui recommençait les missions solos. Ses amis n'avaient pas besoin de savoir que malgré ses actes au bar, l'alcool l'avait séduite. Comme une idiote, elle avait écouté ses promesses vides de sens. Des rassurantes paroles qui hantaient ses pensées, là allongée sur le carrelage à se demander si elle avait été damnée à échouer. Sakura avait échoué à protéger sa soeur, à consommer modérément, à manger trois fois par jour, à... La liste aurait pu continuer jusqu'à ce que le battement de son coeur s'arrête, une chose qu'elle aurait voulu si cela pouvait faire cesser le bruyant bruit de ses veines dans ses oreilles. La kunoichi savait qu'un verre d'eau et un ibuprofène pouvaient venir à bout de ses maux, mais à la seule perspective de relever son torse, un vertige l'envahit. Peut-être que ce matin seulement elle pouvait ne pas se lever. À cette idée, ses paroles adressées à sa soeur lui revinrent en tête. Une vague de culpabilité l'envahit et fit apparaître une nouvelle vague de vertige. Repoussant cette émotion, elle se rassura. Ce ne serait qu'un seul petit matin après tout.

La prochaine fois que ses paupières papillonnèrent, plus aucune lumière ne filtrait dans la pièce, seul indicateur de temps. Ses migraines n'avaient pas diminué à cause de son manque d'hydratation, sa joue l'élançait douloureusement, quelques tessons de verre d'une bouteille martelaient sa chair et des courbatures raidissaient ses membres. Pourtant, ces facteurs ne l'empêchèrent pas de retomber endormie entourée de vaguelettes de sang séché.

Une fulgurante douleur dans sa tête finit par mettre fin à ce tourbillon de sommeil dans lequel la ninja s'était perdue. Un gémissement lui échappa. Chaque pulsation de ses veines dans son crâne semblait rythmer le marteau qui tapait sur sa boîte crânienne. Le souffle qui quittait ses lèvres râpait sa gorge asséchée. Ses pommettes la tiraillaient. Toujours écrasée sur le sol, l'adolescente passa ses doigts sur la peau incrustée d'éclats de verre. Un pincement s'établit sur son index au contact du verre coupant. Peu après, la coupure minime laissait un liquide serpenter sur sa surface. Les yeux mornes de Sakura suivirent le sang s'écouler. Juste ce mouvement des prunelles renforça le cognement dans sa tête amenant avec lui un étourdissement qui menaça de l'aveugler. Alors quand trois coups retentirent sur sa porte d'entrée, ce stimulus lui fit voir des étoiles. Elle avait l'impression que son tympan allait se déchirer sous les vibrations que son cerveau négligé assimilait avec peine. Un hoquet de souffrance franchit sa bouche. Ce subtil son sembla inquiéter quiconque était de l'autre côté du panneau de bois, car les coups recommencèrent avec véhémence. Le bruit se répercuta à l'infini dans la tête de la kunoichi. Des points noirs apparurent et son estomac se contracta pour déverser sa bile, seule composante présente dans l'organe à ce moment. Le temps que son œsophage se libère de l'acide, son visage se releva quelques secondes seulement, retombant dans la mare de fluide après. Son corps trembla sous l'effort et la noirceur remplit sa vision. Une voix familière parvint à ses oreilles. Les mots se percutèrent et s'entrechoquèrent mêlant leurs syllabes. Un charabia ne fut que traduit par son cerveau assoiffé. Sa vue se rétablit et elle permit d'identifier l'inconnu qui la fixait, préoccupé. Elle lui retourna son regard. Pendant un instant, Sakura cessa de cacher la douleur qui parasitait son esprit. La ninja avait promis à sœur de vivre pour les deux. Pourtant, au milieu de sa flaque de vomi, elle n'avait qu'une envie: se laisser dériver jusqu'à ce que la mort caresse son épaule. Un désir qui contrastait durement avec cette image qu'elle avait affichée au bar. Une même réflexion que l'adolescente entraperçut passer dans les yeux bruns. Les orbes verts dérivèrent au-delà du garçon, perdus dans leur contemplation de la faiblesse de la médecin. Peut-être qu'aujourd'hui seulement elle pouvait ignorer cette histoire d'âme sœur et accepter l'aide que le Nara représentait.