7 - La fête des fous

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De la musique et du chaos.

Si cette fête s'était passée au moyen-âge, toutes les personnes entourant Camille auraient été brûlées sur la place publique ou torturées par l'inquisition pour crime d'hérésie. Les corps, nus pour la plupart, sinon très dévêtus, se bousculaient en des danses désarticulées rappelant l'Enfer de Dante. Couverts de boue, les festivaliers s'adonnaient à des plaisirs triviaux en transgressant plusieurs péchés capitaux sans craindre les foudres d'une quelconque punition divine. La musique rassemblait leurs pulsions de liberté en une immense orgie orgasmique. Ils dansaient, hurlaient, riaient, chantaient, buvaient, se droguaient et probablement baisaient. Ils assouvissaient leurs désirs avec empressement, craignant que la société ne vienne trop vite les enfermer de nouveau dans ses filets étriqués. Ils pouvaient être qui ils voulaient le temps de cette parenthèse inespérée dans un monde fait de bienséances, enfermant les gens dans une condition qui pouvait être trop lourde à porter. Alors ils en profitaient pleinement.

Dans ce chaos, Camille peinait à trouver sa place. Son éducation stricte était un fardeau qui mettait des freins à sa capacité à s'amuser. Pourtant, il aurait été plus facile de le faire au milieu de cette foule sans préjugés. Elle se disait qu'elle avait bien dansé deux jours auparavant autour d'un feu de camp devant quelques personnes dans une sorte de transe. Elle devrait en être capable au milieu de mille. La chanson jouée par Marco avait probablement contribué à la mettre à l'aise. Sur scène, le groupe Colosseum se déchainait enchainant des rythmes discordant à base de guitares saturées. Camille supportait mal cette cacophonie et ne comprenait pas que l'on puisse prendre du bon temps sur ce genre de musique sans queue ni tête qui semblait plus improvisée qu'autre chose. Pourtant, son trio de mâles dominants, celui avec lequel elle vivait depuis quarante-huit heures, semblait jouir d'un bonheur exubérant.

Patrick était saoul. Elle ne l'avait pas connu autrement que dans cet état depuis qu'ils étaient arrivés. Il avait une cigarette mal roulée au coin des lèvres et répétait sans cesse : « C'est énorme ! Putain, c'est énorme ! ». Il fermait les yeux, penchait la tête, la secouait comme si elle était un shaker puis la relevait pour redire sa tirade sur l'énormité de ce qu'il vivait. C'était une boucle sans fin vu que le morceau était interminable.

Pierre était parti chercher un « remontant ». C'était ce qu'il avait dit. Camille ne connaissait pas la nature de ce qu'il voulait ramener, mais se doutait qu'il parlait de drogue. Il l'avait laissée avec Marco qui était resté à ses côtés une bière à la main. Il regardait le groupe sur scène et plus particulièrement le guitariste, admirant sa dextérité.

- Ce mec est un dieu, dit-il. Tu as vu, Promesse de l'aube, comme ses doigts bougent ? Il improvise, mais ça sonne toujours juste.

Marco avait aussi pris l'habitude de l'appeler par ce surnom qui lui collait désormais à la peau faisant d'elle une autre personne. Le niveau sonore l'obligeait à parler en approchant son visage de celui de Camille. Cette promiscuité ne la mettait pas mal à l'aise. La veille, ils avaient plaisanté ensemble, se moquant de la tradition idiote de la confession. Ses parents aussi lui avaient inculqué les valeurs de l'église et l'avaient obligé à aller à confesse quand il était petit. Il s'était amusé à raconter n'importe quoi au prêtre allant jusqu'à dire qu'il prenait du plaisir à égorger des chats, ce qui n'était bien sûr pas vrai. Une telle divulgation ne lui avait coûté que quelques Ave Maria et une bonne correction de son père, le prêtre ayant fait fit de son devoir de secret. Assis sous les arbres dans la chaleur de l'été, ils en avaient bien rigolé, avant que Pierre ne les interrompe pour leur proposer de faire une virée à l'étang de Berre.

- Tu ne t'amuses pas, lui demanda Marco.

- Cette musique me donne mal à la tête. C'est insupportable.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant