7 | June

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«  Pourquoi les autres te verraient si les tiens en sont incapables. »

June

— Je suis rentrée, soufflé-je en émergeant dans le hall.

Épuisée, je garde mes clés pressées dans ma paume en refermant la porte derrière moi. Je ne peux pas me permettre de les laisser sur le repose-clés de la console de l'entrée, au risque de les voir disparaître et de rester coincée dehors le jour où il n'y aura personne pour m'ouvrir.

Mon moral tombe encore plus bas en découvrant les affaires de Suzan accrochées au portemanteau. Le trajet en bus et en train intercités d'une heure entre Richmond et Greenwich n'aura pas réussi à faire sécher mon uniforme, qui est encore trempé et gelé. Ce soir, je hais papa d'avoir voulu vivre en dehors de Londres parce qu'il détestait « l'agitation des capitales ». Je suis convaincue qu'on aurait pu habiter dans une rue paisible de Kensington. Son salaire lui aurait largement permis d'acheter une maison raisonnable, et peut-être que l'emplacement en plein centre-ville n'aurait pas incité des types comme ce « M. Scott » à nous prendre pour cible parce que la bâtisse était trop isolée.

Dans le calme de la maison, tout me retombe dessus.

J'ai été menacée. Humiliée au point de douter de mon envie de rester dans ce lycée. J'ai beau retourner la situation dans tous les sens, je n'arrive pas à comprendre comment c'est arrivé. Comment le type qui a mis ma vie en danger durant un cambriolage se trouve être également l'homme qui remplace dorénavant M. Moore ?

J'ai encore mal au ventre en ressassant ses mises en garde. L'envie de tout raconter à mon père pour me décharger de ce poids me démange. Ce serait sans doute la première vraie discussion qu'on aurait depuis un moment, avec un bon prétexte. Avant-hier encore, je l'entendais batailler avec l'assurance en tournant en rond dans son bureau. À travers l'interstice de la porte, j'ai aperçu son expression furieuse quand on lui a appris qu'il ne verrait pas l'ombre d'un penny parce qu'il n'avait pas fait les démarches nécessaires pour être couvert en cas d'effraction sur sa propriété.

Mais je sais que je n'ai pas le droit. Ce type a été clair avec moi. Si j'ose parler de ce que je sais à qui que ce soit, les répercussions seront violentes et nous mettront tous en danger.

Je devrais envisager un changement de classe afin d'avoir un autre enseignant dans cette matière. Ce serait plus facile de l'ignorer, et de le rassurer ainsi sur mon silence. Je veux terminer cette année en vie et partir loin d'ici. Quand je serai enfin à l'université, rien de tout cela n'aura d'importance.

Oui, ce sera juste comme un mauvais rêve.

Je m'accroupis pour défaire mes lacets et suis frappée par la douleur dans mes genoux. Les filles n'y sont pas allées de main morte aujourd'hui. C'était leur cadeau de rentrée. Elles m'ont traînée dans les toilettes avant d'actionner les douches et de me garder sous le jet d'eau glacial pendant cinq bonnes minutes. Chaque fois que l'eau s'épuisait, elles recommençaient. Holly en a profité pour me couper une mèche de cheveux. Les lames de sa paire de ciseaux sont passées si près que j'ai failli perdre un œil. Elle m'a craché d'arrêter de faire l'intéressante quand j'arrive en retard et traité de « salope en manque d'attention qui aurait mieux fait de se faire transférer ».

Je sens que je vais tomber malade. J'ai déjà le nez qui coule, et des frissons dans la nuque.

À l'instant où je me redresse, des éclats de voix résonnent au premier étage. Je reconnais les cris de Suzan et de mon père. La curiosité me fait tendre l'oreille. Ils ne se disputent jamais ; enfin, jamais pour quelque chose de sérieux. Cette acrimonie dans l'air me pousse à espérer qu'il s'est passé quelque chose de grave. Peut-être qu'il la trompe à trois mois du terme. Ou bien c'est elle.

TROUBLEMAKER | 1 & 2 [Sous contrat d'édition chez BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant