13 - Zone de divertissement peu propice

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Beauvène était un petit village situé entre deux cours d'eau et c'était bien tout ce qui faisait son charme. Le cadre était magnifique, la toile vieillotte. Entouré de collines pleines de contraste de couleurs, roches brunes saupoudrées de verdure, le hameau se trouvait le long d'une gorge invitant à la contemplation au fond de laquelle la rivière Eyrieux zigzaguait sous forme de rapide, comme si la nature elle-même ne voulait pas rester et cherchait à s'échapper de cette ville fantôme. Un autre cours d'eau, le Talaron de l'autre côté du bourg, était plus petit, mais avait opté pour la même solution. Le constat était simple et non discutable, ce village était la définition de la ruralité poussée à l'extrême ayant subi de plein fouet l'exode après la guerre des plus malins de ses habitants vers Lyon ou Marseille. Ceux qui étaient restés vivaient de la terre et l'aimaient tellement qu'après leur dernier souffle ils serviraient de nourriture aux vers qui allaient accélérer sa fertilisation. Une restauration complète aurait permis de le faire resplendir, joyaux aux murs de granit et aux toits de tuiles ocre, mais personne pour subventionner l'oubli.

Un bistrot, une boulangerie, une épicerie, le kit complet pour survivre, le tout étaient réunis en un même bâtiment intelligemment situé entre la mairie et l'église. Des rues vides pour les accueillir, sauf à la terrasse du café-échoppe où il y avait une personne seule, un habitué des lieux reconnaissable à son teint viticole. Il leur indiqua, à l'aide du patron de la boutique qui était sorti pour voir leur groupe, que l'endroit qu'il cherchait se trouvait à la sortie du village et qu'ils étaient passés devant. Camille avait remarqué que les autochtones avaient lancé un regard de désapprobation à l'égard de l'allure vestimentaire des garçons, accompagné d'une moue et d'un mouvement de la tête de gauche à droite, mais qu'ils en avaient eu un autre plus espiègle et appuyé pour ses formes. Elle se sentait gênée en leur présence et pressa les garçons de repartir. Ces hommes avaient au moins trois fois son âge. Elle vit en eux de vieux vicelards frustrés.

Ils arrivèrent enfin dans le coin indiqué, le plus isolé de ce village reculé, en fin d'après-midi. Le soleil était encore haut dans le ciel, mais leur enthousiasme était au plus bas. L'endroit était un long corps de ferme avec dans son prolongement une étable. Il était fait de pierre et de bois et son état était dans la lignée du reste du village, proche de la ruine. Rien ne laissait penser qu'une communauté hippie pouvait vivre ici, sauf peut-être une légère ligne de basse à peine audible remplissant en rythme le silence, cherchant probablement à le réveiller.

Un petit homme fin aux rides creusées par le temps sortit de la pénombre de l'étable, une brebis sous le bras. Il portait une casquette de marin sur ses cheveux longs et gris, lui qui vivait à des kilomètres de la mer et encore plus de l'océan. Il ressemblait à un vieil Éric Tabarly après une transat en solitaire, qui se serait échoué au large de l'Atlantique et aurait été balloté par les flots pendant dix jours. Son corps semblait sur le point de le lâcher. Dans sa jeunesse, il avait dû être une force de la nature et cette même nature lui avait repris sa vitalité.

Pierre tenta une approche.

- Excusez-nous monsieur. Nous cherchons de fervents défenseurs de la liberté. Nous-mêmes acquis à cette cause, nous avons appris qu'ils pourraient être hébergés sur vos terres. Auriez-vous l'amabilité de nous indiquer si c'est bien le cas ?

L'ancien se gratta le menton, tira sur son lobe, renifla puis cracha au sol.

- Eh bien ! On dirait bien qu'en voilà d'autres, dit-il avec un accent pouvant faire saigner les oreilles d'un académicien. Par contre, j'comprends rien à ce que tu baragouines mon gars. Vous êtes comme les autres fumeurs d'herbe que j'ai déjà chez moi ?

Marco prit le relais. Son élocution plus populaire que celle de Pierre était plus adaptée à la situation.

- Oui, c'est ça. On est des fumeurs d'herbe qui ont fait de la route pour rencontrer cette communauté et peut-être s'y installer. On a demandé partout dans le village et on nous a indiqué votre baraque. Dites donc, c'est bien chez vous qu'elle est ?

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant