Liverport

30 | ⚠️ Fantasme

TW : émétophobie + évocation suicide en fin de chapitre.

Agate soupira pour la quatrième fois et changea de position sur son lit. Il frappa dans son oreiller pour lui redonner forme et le cala entre ses omoplates. Raphaël sourit. Le soleil matinal filtrait dans le dortoir par les trois vasistas ; ils étaient seuls, silencieux, mais la frustration d'Agate remplissait lourdement l'espace autour d'eux.

Raphaël n'était pas dans le même état d'esprit. Contrairement à lui, il n'avait pas passé près de dix ans enfermé au Soprano. Que les autres aient une permission de sortie et pas lui ne l'impactait pas tant que ça. Il avait de quoi s'occuper.

Une chose en particulier lui occupait l'esprit.

Lino n'avait strictement rien à faire du circuit et des voitures, mais quand Calista se tourna vers lui, excitée, pour lui sourire, il lui rendit dans la même mesure. Il était présent pour elle et Louka et, même s'il était indifférent à leur passion, aimait partager ces moments avec eux. Il se crispait sur son siège en regardant leurs courses et savourait leurs victoires autant qu'il compatissait avec leurs défaites. Louka et Calista avaient été les plus jeunes pilotes sur le circuit à gagner tous les tournois internes organisés sur Liverport.

Le circuit venait de finir les rénovations entreprises trois ans plus tôt et l'inauguration se ferait sous la forme de plusieurs courses « amicales ». Louka avait inscrit Calista à l'une d'elle et venait de lui faire la surprise. Sa réaction avait été comme il l'avait imaginée.

Lino les suivit distraitement. Il avait du mal à se concentrer. Il répondait avec automatisme et se calquait sur l'émotion de son interlocuteur, à base de « Oh ? » et de « Ah... ».

— Hey ! Les interpella Jordan, le propriétaire du circuit. Ça fait une éternité ! Alors, qu'est-ce que vous en dites ?

Jordan était un cinquantenaire qui avait connu leur père quand il pilotait encore. Son regard bleu foncé capta l'attention de Lino qui lui fit un petit signe de tête.

— C'est super, complimenta Calista.

— J'ai vu que tu étais inscrite pour demain après-midi ! Tu as hâte de retrouver la vitesse ?

— Je ne l'ai jamais perdue, plaisanta-t-elle.

Calista n'était pas connue pour respecter les limitations de vitesse et les Stop. Jordan rit.

— Ça va, Lino ? Ça fait longtemps aussi ! Ton père venait souvent...

Jordan laissa mourir la fin de sa phrase quand il observa le changement d'expression de Lino.

— Ouais, ça le dérangeait pas de regarder une bagnole tourner en rond pendant des heures.

Jordan perçut l'acidité dans sa voix et hocha la tête.

Ils furent coupés par le bruit du moteur d'une voiture bleue qui leur passa à côté. Dans un crissement de pneus, elle s'arrêta quelques mètres plus loin.

Louka leva les yeux au ciel.

— Si y a bien un truc qui m'avait pas manqué, commenta-t-il.

Jordan afficha un sourire gêné. Un homme sortit de la voiture et s'y appuya un instant en les détaillant tous. Il portait une veste en cuir noir traversée par une ligne bleu électrique. Il sourit et se passa les doigts dans les cheveux.

— Tiens, vous êtes venus. Tant mieux. Il faut bien des perdants, sinon ce n'est pas drôle.

Jordan lança un coup d'œil en arrière vers son cousin, Théodore. Quelques hommes se levèrent des gradins pour rejoindre la voiture jaune et leur lancèrent des regards en travers.