Ce fut la lumière du jour qui m'accueillit lorsque j'ouvris les yeux. J'avais la tête contre l'oreiller et j'observais les rayons du soleil rentrer avec l'impression d'être encore endormie, à la limite entre le rêve et la réalité. La chaleur des rayons sur l'arrière de mes épaules s'apparentait à une douce caresse et me rappelait à quel point j'aimais cette sensation, cette légèreté. Sur la petite table en dessous de la fenêtre reposait le pistolet d'Esteban, démonté et fraîchement nettoyé. Je me redressais en tenant le drap contre ma poitrine. Je sortis du lit et frôlais du bout des doigts chaque élément disposé avec minutie sur le bois tiédie par le soleil.
Je jetais un œil vers lui, endormi sur le dos, la tête inclinée de mon coté. Sa respiration était profonde et lente. Ses cils esquissaient parfois de petits mouvements presque imperceptible tout comme le reste de son corps, des petits soubresauts ou crispation agitaient ses muscles émergeant de la profondeur de ses songes.
J'étais comme fascinée par cette image. Il était si paisible à l'instant. Je me demandais ce qu'il voyait sous ses paupières closes, quels étaient les rêves qui l'animaient. J'étais tiraillée entre le désir égoïste qu'il se réveille et celui qu'il reste endormie afin que je puisse encore profiter de cet intimité calme et réconfortante.
Je savais que dès qu'il s'éveillerait et qu'il poserait les yeux sur moi, je ne saurais plus qui je serais durant les premières minutes, que mon cœur battrait la chamade et que je ressentirais l'envie d'être juste là, blottie dans ses bras.
Alors je le regardais simplement dormir. Nous étions tous les deux épuisés, le sommeil avait été difficile à trouver malgré que nous soyons fatigués.
Je me retournais et écartais d'un doigt le fin rideau de la fenêtre. La rue était calme pour le moment mais je craignais que ça ne dure pas.
- Qu'est-ce que tu fais debout? Viens te reposer encore un peu, on ne va pas s'éterniser ici, prononça sa voix roque derrière moi.
- Comment tu te sens ?
- Je me sens bien, approche.
Je rejoignis le lit en quelques enjambées et il m'attira à lui. Je sentais ses mains sur ma peau, et les miennes sur la sienne. Il les glissa sur ma taille puis dans mon dos tandis que je me laissais me reposer contre son torse avec la jouissance secrète que mon souhait silencieux s'était réalisé. Je crois que ce contact, c'était tout ce dont j'avais besoin ce matin. Un moment de connexion. Il embrassa ma tempe, je sentais son odeur, pas celle d'un parfum en particulier mais de sa peau à lui, de son essence même, familière qui me réconforta et me fit me sentir en sécurité.
Il était désormais temps de rassembler le peu d'affaire que nous avions sur nous et de partir. Je regardais Esteban qui, d'un geste assuré, remontait son arme et la calait entre sa peau et l'élastique de son jogging. Il réajusta son t-shirt par dessus et me fit un sourire qui se voulut rassurant.
Nous étions bien plus en forme aujourd'hui et sa blessure ne semblait pas le faire souffrir.
Nous rejoignîmes la voiture garé dans le parking arrière de l'hôtel. Visiblement aucun avis de recherche n'avait encore été diffusé sur celle-ci mais ça ne saurait tardé alors la prochaine étape était aussi de l'abandonner quelque part et de nous trouver un autre moyen de locomotion.
Nous nous arrêtâmes dans un petit restaurant et il demanda au serveur à passer un coup de fil rapide. Celui-ci accepta en prenant les quelques billets que lui passait Esteban.
Il parla à voix basse et raccrocha à peine trente seconde plus tard. Il revint vers moi.
- On y va.
J'acquiesçai et le suivit à l'extérieur.
Le soleil brillait et le ciel bleu était dégagé. Il nous conduit un moment à travers la petite ville puis une campagne jusqu'à ce qu'un petit aéroport se dresse devant nous. Il n'y avait pratiquement que des vols intérieurs et assez peu de voyageurs.
Certainement grâce à un contact, nous passâmes la sécurité sans carte d'identité ni passeport. Esteban posa sa main sur le bas de mon dos pour me guider à travers le dédale de couloir vitré qui donnait une vue sur la piste d'atterrissage. Les quelques avions étaient en train d'être contrôler, le personnel s'agitait avec tout de même un certain calme, les camions avec leurs lumières clignotantes passaient ici et là sous les rayons du soleil qui réchauffaient et donnait à ce tout une certaine uniformité, comme celle d'un orchestre.
Une femme, vêtue d'un tailleur et d'un fin foulard noué autour du cou vint à notre rencontre avec un sourire.
- Monsieur, madame Rivera, nous sommes ravie de vous accueillir au sein de notre aéroport. Nous ferons en sorte que la discrétion demandée soit respectée. N'hésitez pas à demander si vous avez besoin de quoique ce soit.
- Merci beaucoup, répondis-je assez machinalement en glissant un regard vers Esteban qui lui semblait préoccupé par autre chose.
L'hôtesse nous guida à bord et après le décollage, elle fut au petit soin pour nous apporter de quoi grignoter et de quoi nous rafraîchir. Du coin de l'œil, je la vis attarder son regard sur Esteban avant de le porter sur moi, paraissant soudainement gênée par mon regard insistant.
- Jalouse ? Demanda-t'il lorsqu'elle s'éloigna.
Je tournais la tête vers lui, comme une voyeuse qu'on venait de prendre en flagrant délit.
- Tu l'as senti, commentai-je en parlant de son regard aguicheur.
- Bien sûr. Réponds à ma question.
- Pourquoi je le serais ?
- Voir une personne convoiter ce que l'on a peut réveiller les insécurités.
- Je n'ai pas d'insécurité.
- Menteuse.
- Je ne suis pas une menteuse.
- Tout le monde a des insécurités.
- Même toi ?demandai-je avec une ironie à peine dissimulé.
- Même moi.
- En te voyant on ne s'en doute pas.
- Je sais, c'est voulu.
Il y avait moins d'une dizaine de passager à bord. Je n'avais jamais pris l'avion avec aussi peu de monde à l'intérieur.
Alors que les nuages se dessinaient à travers le hublot, transpercés par la lumière, mes paupières s'alourdirent peu à peu.
Mes ombres réapparurent.
Sous mes paupières s'agitèrent formes et subtilités de couleur à chaque seconde plus sombre, comme si mon corps s'était téléporté hors de l'avion et que je me retrouvais dans les profondeurs. Dans un énorme gouffre.
Je me voyais sortir de moi-même, me voir à la troisième personne suffoquer, m'étouffer par une eau invisible qui s'infiltrait en moi. La peur déjà installée, m'enserrait la gorge. Et je me sentis impuissante face à moi-même. Mon père avait disparu de mes cauchemars, comme il avait disparu de la ville mais il avait laissé derrière lui une impression de mort imminente. Rien ne changerait le passé, ni ce qu'il était, ce qu'il avait fait, rien ne ramènerait ce qu'il m'avait enlevé et c'est cette fatalité qui donnait à mon cœur l'impression de saigner. Une plaie béante. Aucune suture ne tiendrait. Je me revis, la veille, refermant la blessure d'Esteban, réalisant que personne ne saurait recoudre la mienne. Ma mère n'existait plus, seules quelques souvenirs un peu flous survivaient encore dans les méandres de mon esprit de petite fille. Je m'en voulais, parce que quelque chose en moi pour me protéger, effaçait certaines parties de mon enfance volée au détriment de son fantôme qui visitait parfois mes rêves. Ma haine contre mon père n'avait jamais été aussi intense. Mon père. Je me sentais dissociée de ce lien, cette appellation perdait de son sens. Un mot vide. Une vie qui se fanait en somme.
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Rivera : L'épouse d'un chef de Cartel - 1er jet
RomanceLa famille Rivera est l'une des familles les plus puissantes dans le monde du crime en Amérique latine. L'un de leur fils, Esteban, a passé un accord avec mon père. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée mariée pour respecter un engagement dont...