Le temps des Révoltes

Une haine profonde

Aristée

A leur arrivée, le palais était rempli d'une multitude de chimères différentes. Toutes sur leur trente et un : il  y avait des chimères-béliers dont les longues cornes couvertes de bijoux n'en finissaient plus, des chimères-oiseaux munis d'un long bec pointu, des chimères-lucioles inondant la pièce de leur lumière aveuglante, des chimères-serpents se traînant nonchalamment dans un sifflement, et bien d'autres venues des quatre coins de la contrée.
Inaya leva la tête et découvrit un lustre d'une splendeur incroyable, où s'était déposés par milliers de minuscules oiseaux-papillons créant une véritable palette de couleur vivante. La salle de bal était immense et les murs qui l'entouraient étaient tous fait à partir de cristaux si bien qu'on pouvait y voir se refléter notre silhouette déformée, ajoutant à la salle une dimension infinie.
Soudain une musique stridente retentit et le bruit sonore diminua rapidement. En haut sur l'estrade, l'empereur faisait son entrée sous l'acclamation du public, suivi de près par son fils.
Richement vêtu de noir de la tête aux pieds à l'image de son fils, l'empereur dont la tête et le buste étaient humains mais dont le corps était celui d'un loup laissait entrevoir sa fourrure de loup tachetée sur ses mains griffues.
L'empereur prit la parole et entama son discours :

—Bonsoir à vous, chères créatures de la mer, de la terre, de l'enfer et de la nuit  ! Votre présence en ce jour spécial me comble de bonheur. Je suis ravi de partager avec vous ces festivités et j'espère que chacun passera un agréable moment dans notre fabuleuse et merveilleuse cité d'Ecclésia ! Nous avons lutté ensemble pour la paix mes amis et aujourd'hui nous continuons de prospérer pour nos enfants. Nous sommes...

La voix d'Astride vînt soudain effleurer l'oreille d'Inaya  :

—Regarde Aristée comme il est beau ! A mon avis, tu ne vas plus regretter d'être venue. Peut-être qu'il a secrètement le béguin pour les filles étranges aux yeux bleus, qui sait ? ricana-t-elle.

—Super ! Merci du compliment. Me voilà sauvée, ironisa Inaya.

Inaya se mit sur la pointe des pieds et aperçut en effet Aristée debout au côté de son père, parcourant la foule du regard. On ne pouvait nier qu'il était d'une grande beauté avec ses longs cils noirs et ses cheveux bruns plaqués en arrière, ne laissant que les mèches de devant retomber sur son visage à la mâchoire saillante. Il arborait une expression de sérieux intense qui était renforcée par son costume très ajusté à la taille, remontant jusqu'à son cou, de manière très professionnelle. Tout semblait être calculé au détail près. Il était mi-homme, mi-loup comme son père, à ceci près qu'il était blanc.
Brusquement, il tourna ses yeux rouge vif vers elle et leurs regards se croisèrent un instant. Ne voulant pas montrer sa faiblesse, elle maintint son regard ardent. Il ne laissait paraître aucune émotion mais il ne devait sûrement pas avoir l'habitude qu'on ose le défier.
Le loup blanc comme on le surnommait, de sang royal, devait perpétuer la lignée et se trouver une épouse qui serait capable de donner un héritier mi-humain, mi-chimère, considéré comme légitime au trône. Inaya pouvait tenter sa chance mais le voulait-elle vraiment ?
Un sentiment étrange la parcourait. Il lui semblait facile de soutenir ce regard puissant. Comme si... Comme si cela s'était déjà produit par le passé. Une haine intense semblait s'accroître au fond d'elle - sans savoir pourquoi - à chaque fois que son visage lui venait à l'esprit. Elle voulait quelque chose mais elle ne savait pas encore quoi...
Ils durent cependant s'interrompre car une voix s'éleva :

— Et j'ai l'honneur de vous annoncer que les festivités sont désormais ouvertes ! annonça l'empereur sous les cris de joie de la foule.

  Sa sœur, une chimère mi humaine-mi tigre virevoltait déjà, riant au éclats dans sa robe rouge à dentelle au bras d'un cavalier, sous la musique endiablée des danses traditionnelles. Inaya l'enviait. Arriverait elle à trouver le bonheur elle aussi un jour ?

Une seule chose était sûre. Elle le sentait au plus profond d'elle même : ce soir marquera un tournant dans sa vie.