Prologue

151 6 1
                                    


Pendant près de cent ans, une série de crises sociales et identitaires secouèrent la France. Le pays se décomposait de façon quasi imperceptible. Depuis des décennies les générations successives de personnes racisées demandaient à être reconnues comme des Français à part entière. Ils pointaient du doigt un État qui ne reconnaissait pas les discriminations auxquelles ils devaient faire face quotidiennement. La police les brutalisait, les déshumanisait et bafouait des droits supposés garantis par la devise du pays : Liberté, Égalité, Fraternité. À cette crise identitaire, il n'y eut jamais de réponse satisfaisante. Bien que l'Assemblée supprima me mot race de la Constitution, en 2018, le racisme ne cessa d'exister.

 Les années 2000 furent marquées par trois types de crises, la première économique et sociale, scindant la population entre les riches et les pauvres. Des pauvres détestés, infantilisés mis aux ban avec les enfants racisés de la France. La deuxième, le terrorisme, était un retour de gifle de la politique extérieure de la France et de son ingérence dans les anciennes colonies. Le peuple n'avait jamais été consulté sur le sujet, et il ne fut pas difficile au terrorisme de pousser dans le terreau de la première crise identitaire qui n'avait jamais été résolue. La troisième, d'échelle planétaire, fut écologique. Elle était le fruit d'une consommation égoïste sans limite que le capitalisme avait fait apparaître comme le baume cicatrisant d'une société aveugle des valeurs censées la souder. Ce remède au vide de sens se transforma en poison pour la terre et l'eau.

L'accumulation de ces crises activa dans le pays des protestations qui se voulaient fédératrices mais qui malheureusement finirent par se contredire. Marche pour la liberté d'expression se transformant en racisme, marche contre la paupérisation des français en apologie du consumérisme, marche pour le climat, niant les inégalités économiques des français.... L'État réprimait sans vergogne, des centaines de blessés, mains arrachées, yeux crevés, contrôles d'identité qui tournaient à l'homicide. Seules ces divisions, empêchèrent le pays de sombrer dans la guerre civile.
C'est dans ce contexte de dégradation de l'identité française, que les gouvernements se succédaient sans répondre aux crises, déconnectés des réalités du peuple. L'horizon commun s'émietta et disparut. Les mythes fondateurs de la France ne correspondaient plus à la société. Comment Xiao Ly, Ceija, Irfan pourraient-ils se reconnaître dans la révolution française, la Libération de 1945, mai 68...? L'unité nationale laissa place aux engagement locaux. La France se polarisa, chaque pôle répondit aux crises à sa manière. Ces entités développèrent de nouvelles technologies pour faire face au aléas climatiques.
Paris voulut continuer à régner en métropole du divertissement, connectée au monde du luxe et des réalités virtuelles. Conservatrice, voulant sauvegarder les apparences, elle refusa de se transformer pour accueillir des dispositifs publics d'assainissement de l'air qui devint irrespirable au début des années 40. ll était impossible d'y vivre sans respirateur, un bijou de technologie que seuls les plus fortunés pouvaient s'acheter et recharger. Les pauvres furent repoussés toujours plus loin de la ville. Une ribambelle de robots remplaça les petits employés.
Le Sud-Est développa des outils sociaux pour améliorer les conditions de vie des métropoles comme Marseille et Lyon, qui devinrent villes jumelles. On y créa des centres multi-ethniques et multi-confessionnels pour recréer un dialogue sur l'identité française. Le bassin du Rhône se transforma en couloir de haute-technologie où se jouait le futur industriel du pays. Le chômage y disparut. L'agriculture à petite échelle fut revalorisée et les centres urbains se dotèrent de ceintures vertes micro-climatiques contre les incendies, de plus en plus fréquents et violents en été. Les inter-saisons finirent par disparaître pour ne laisser qu'un été chaud où l'air était irrespirable et un hiver glacial où les températures pouvaient descendre jusqu'à moins 30. Si dans certaines régions les dispositifs politiques et climatiques étaient réfléchis, dans d'autres, il fallait survivre. Le Nord de la France se retrouva sous les eaux. Un golf séparait maintenant la France de la Belgique. Dunkerque et Lille avaient disparues, englouties. Bruxelles était devenue une île entourée de digues qu'on avait construites à temps. L'individualisme et l'entre-soi des métropoles grandirent mais les tensions nationales se calmèrent.

Salina Hong, Historienne

Écrits du 5 février 2055

La France GriseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant