07. Ghostly

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En dépit de toute l'assurance de Kahu, les deux premières heures furent critiques pour Malaki. Il avait vraiment perdu beaucoup de sang et la lumière de la pièce mettait en évidence la gravité de ses plaies. L'un de ses tentacules était si profondément entaillé que c'était un miracle qu'il n'ait pas été sectionné, et un autre arborait une couleur sombre peu engageante. Pour s'assurer qu'il ne reprenne pas conscience au milieu du processus de soin et qu'il reste anesthésié, Caden avait mêlé à l'eau du bassin un léger somnifère qui le maintenait dans les vapes. Ils le réveilleraient une fois que son état serait stabilisé.

Les plaie les plus profondes furent soigneusement recousues avant d'être bandées, et ils posèrent des strips sur les plus petites, avant de bander toutes les coupures, entailles et égratignures moins graves. Par prudence, Caden lui fit des injections destinées à le préserver du tétanos et de deux ou trois autres infections du genre, tandis que Mele installait une transfusion pour l'aider à reconstituer le sang qui s'était enfui hors de son corps. Ce ne fut qu'une fois le plus gros passé, une fois qu'ils furent certains que Malaki allait guérir, qu'ils se détendirent enfin.

— Il a une sale gueule, remarqua Davy sans la moindre subtilité. Heureusement que vous passiez dans le coin, sans ça il y serait resté après une longue agonie.

Ils frissonnèrent tous à ces mots, imaginant très bien la mort atroce que cela aurait pu être, et Kahu plongea la main dans l'eau pour serrer celle de Malaki. C'était le réflexe d'une sirène ayant grandi dans un banc, un contact destiné à rassurer l'autre et à signaler sa présence comme ancrage. Il ignorait d'où venait Malaki, avec ses larges tentacules bleu-violet et sa peau bien plus claire que la sienne, mais il comptait sur le fait que ce qui marchait dans son banc marchait aussi pour lui. Si tant est que les pieuvres vivent en banc, mais il n'avait aucun moyen d'en être sûr tant qu'il ne lui posait pas la question.

— Avec tout le sang qu'il a perdu, on le croirait presque mort, ajouta Mele plus doucement. Comme les pieuvres qu'on trouve échouées sur les plages, parfois. Il va sans doute devoir rester en convalescence un moment, avec de telles blessures. J'espère qu'il ne perdra pas son tentacule...

En dépit de leurs capacités de guérison bien supérieures à celles des humains, les sirènes pouvaient être grièvement blessées et se retrouver avec des handicaps parfois très graves. Étant donné l'état général de Malaki et celui de son quatrième bras, il n'était pas exclu qu'il garde des séquelles de sa mésaventure. À eux de veiller à ce que cela n'arrive pas et qu'il se rétablisse parfaitement, dans les meilleures conditions.

— On peut l'installer dans le bassin hôpital, proposa Caden. Pour le moment il est vide. Au moins le temps qu'il se remette un peu et cesse de ressembler à un fantôme. 

— S'il le faut, je le prendrai chez moi, intervint Kahu. Je serai plus à même de l'aider si je peux veiller sur lui à toute heure. Mais il vaut mieux le bassin pour cette nuit, jevais rester avec lui. Ensuite on verra si je prépare ma chambre d'ami.

Une fois ou deux, il était resté dormir dans le bassin hôpital pour s'occuper d'un animal vraiment mal en point, mais une autre sirène c'était différent. De toute manière, il n'avait rien de mieux à faire cette nuit puisque personne ne l'attendait chez lui. Il préférait de loin rester auprès de son blessé à l'air fantomatique, ne serait-ce que pour le réconforter et lui assurer qu'il n'était pas tout seul et à moitié mort dans un endroit inconnu. Il serait plus rassuré de savoir Malaki à proximité, dans un environnement parfaitement sécurisé, où aucun humain innocent ne risquait de tomber en se trompant de porte pour aller aux toilettes. Non pas que ce soit déjà arrivé, mais ils avaient une fois trouvé un touriste complètement perdu sur le toit du réfectoire, donc ce n'était pas impossible.

Alors ouais, l'équipe de nuit était parfaitement capable de le prendre en charge et de veiller sur son état, mais aucun de ses membres ne pourrait passer la nuit dans le bassin. Et Kahu se savait incapable de trouver le sommeil dans sa chambre en laissant Malaki aux soins de quelqu'un d'autre. Son visage livide le pourchasserait dans ses cauchemars comme un mauvais esprit personnifiant la culpabilité. Alors qu'en dormant dans le bassin hôpital, il serait presque aussi bien installé que chez lui et il pourrait se rassurer lui-même en constatant heure par heure que Malaki tenait le coup et vivrait jusqu'au matin.

— Commençons déjà par rentrer, trancha Davy. Pour ce soir, le bassin hôpital fera parfaitement l'affaire et tu y resteras avec lui. Nous aviserons demain matin.

— La Nausicaa peut remorquer la Calypso sans trop de mal, ajouta Mele. Je vais m'occuper du câble et rester à bord de la Calypso. On se retrouve à la maison.

— Mangez au moins quelque chose avant de partir, les gronda Martha en passant.

Avec un sourire aussi soulagé que fatigué, Kahu s'adossa au bassin sans lâcher la main de Malaki, regardant Martha escorter Davy et Mele hors de la pièce en les morigénant sur le fait de louper des repas. Il se sentait épuisé, écrasé par le contrecoup des dernières heures, et il se savait prêt à décrocher quelques minutes pour dormir un peu, rien qu'un peu. À côté, Caden terminait de noter soigneusement leurs observations dans le carnet de santé qui suivrait Malaki durant tout son séjour à Odysseis. C'était un carnet standard, fait pour recueillir les informations sur chacun de leurs pensionnaires, et il faudrait ajouter des champs pour les réponses que Malaki pourrait leur donner lui-même, mais au moins ils garderaient une trace de ses traitements au cas où. Doucement, Kahu effleura la main molle qu'il tenait toujours et resserra un peu ses doigts autour des siens en renversant la tête en arrière. Ses yeux se fermaient d'eux-mêmes, il devenait difficile de les garder ouverts, et il finit par sombrer sans lâcher son blessé.

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant