La fissure du cristal (nouvelle)

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« Je sais plus. J'sais plus. Ça m'revient pas. Pourtant, tous les matins j'lui disais. Mais là, est-ce que j'lui ai dit? »

« Qu'est-ce que vous lui disiez? »

« Que j'l'aimais. Plus qu'tout au monde. J'peux pas croire... J'm'en souviens pu. Tabarnak. »


***


— Eille, depuis que t'as laissé Justin, y viens même pu à l'école.

— Qui?

— T'es ben conne, t'as laissé un autre gars dernièrement, à part lui?

— J'te niaise. C'est juste que...

— Que quoi?

— Laisse faire, Annie. Ouin, j'ai remarqué.

— Tu penses que tu lui as brisé le cœur et qu'il peut pas s'en remettre?

La réponse ne vient pas, ne viendra jamais. Le ton sonne léger, sauf que chaque mot pèse une tonne. En aucun temps Samantha pourrait lui avouer la vérité. Trop de blessures. Malgré les trois semaines passées, les cicatrices encore fraîches s'ouvriraient, la tireraient vers le bas. Ce qu'elle lui a raconté convient mieux.

— Ça va, Sam? Oh, t'check qui qu'y'arrive.

— Bon matin Samantha.

Les bras d'Anthony l'enveloppent plus longtemps que des amis devraient le faire. Un sentiment de bien-être réciproque. Un baume pour le cœur. Leurs regards s'échangent des étoiles qui se récitent des histoires complices.

Sonnerie. Les cours débutent. Des petits signes de la main, tandis que les chemins se séparent. Sam replace ses cheveux chocolat derrière les oreilles. Une tendresse nouvelle à découvrir, doucement. Rien ne presse.

— Quand est-ce que vous officialisez ça, là?

— Tu vas-tu arrêter avec ça. T'es fucking fatigante, Annie.

— Ben là! Fais-moi pas croire que t'as laissé Justin juste parce que tu l'aimais pu! C'est drôle comment ton p'tit monde a changé quand Anthony est arrivé. J'dis ça, j'dis rien.

Ça fait longtemps que son « p'tit monde » a changé, ce bien avant Anthony. Mais Annie a été trop occupée avec tous les ragots de l'école pour le remarquer, vivant dans un univers parfait. Un endroit à accès restreint.


***


« Y'est tombé sur moi. Je... J'pouvais pas bouger, j'y arrivais pas... »

Les sanglots, les tremblements. Ses propres bras l'entourent, tentent de la réconforter, de cacher la chair de poule. Les images se succèdent, la rafale menace de l'attraper.

« Prenez votre temps, mademoiselle. »

Le temps. Quelle stupidité. Plus le temps passe, plus les images la hantent, la submergent, l'étranglent.

« Il convulsait, le sang coulait sur moi... Pis, pu de mouvements. Y'était... Ses yeux... »

Les paupières se ferment. Ses foutus yeux.


***


La fosse se creusait lentement. Pelletée par pelletée. Chaque semaine, jour, heure. La profondeur approchait les tréfonds, dangereusement. La main serrée dans la sienne n'avait rien de délicat, de doux; des griffes acérées, déchirant la peau pour mieux l'agripper, la dominer. Des chaînes invisibles qui enlevaient la simple idée de fuir. Le temps les apprivoisait, les rendait dociles. Ces entraves devenaient des alliées, celles qui rassuraient, qui s'assuraient. Au-delà du physique, elles s'infiltraient dans la tête, comblaient la vision. Être enchaînée s'enlaçait à la banale réalité.

La fissure du cristalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant