J'ai peut-être sous-estimé le soleil de septembre lorsque j'ai enfilé mon pull en laine ce matin, heureusement, j'ai opté pour une couleur crème ou blanc cassé, comme dirait certains. Il est neuf heures, ce 13 septembre 2003, et sous la chaleur des rayons tapant sur le carreau à ma gauche, j'assiste à mon premier cours. J'ai toujours voulu travailler dans ce domaine, l'hôtellerie.
Ma mère est cheffe d'une chaîne de maroquinerie ayant connu un franc succès, elle enchaîne les rendez-vous professionnels dans tout le pays. Lorsque je lui suppliais pour la dixième fois de la journée de m'emmener avec elle au lieu de me laisser sous la garde de ma tante, elle a craqué. Alors, pour mes dix ans, elle m'a offert une enveloppe. Il se trouvait qu'elle partait en voyage d'affaire à Paris et qu'elle m'avait trouvé une professeure particulière afin qu'on parte toutes les trois, et que la fillette que j'étais puisse enfin découvrir pleinement le monde qui l'entoure. Depuis ce jour, je me suis trouvée une relation spéciale avec les hôtels dans lesquels je me rendais, ma mère choisissait toujours les hôtels les plus classes, auxquels était attribuées au minimum quatre étoiles. Bien sûr, j'adorais me pavaner dans le marais, au parc de la tête d'or ou encore au vieux port de Marseille, mais j'aimais encore plus l'environnement de ma résidence temporaire. Souvent, je parlais aux employés de l'hôtel : j'avais soif de détails sur leurs journées et les tâches qui occupent celles-ci. Je négociais pour rester avec eux derrière le comptoir ou aider à mettre le buffet au petit-déjeuner, quand bien même je devrais tracer une croix sur mon sommeil. Généralement, on me refusait l'offre, mais quelques hôtels, habitués de ma visite, faisaient une exception. Après tout, qu'est-ce que ça coûte d'accepter l'aide une gamine qui a des étoiles dans les yeux quand on lui parle de ses tâches d'hôtelier ?
Alors me voilà aujourd'hui, prête à imiter ceux qui m'ont tant inspirée. Je suis arrivée une vingtaine de minutes en avance, par précaution du fait de la mauvaise circulation en métropole, d'autant plus que je réside encore chez ma mère, à Lormont.
Une voix mordante me tire de mes rêveries
- Jeanne Maillard, née le 14 juin 1985. Quel changement dit donc !
Je lève les yeux et fait face à une petite blonde, qui, contrairement à moi, a opté pour un ensemble assez estival, avec un crop top portant très bien son nom, un jean taille basse laissant apparaître deux arabesques sur le bas de son ventre ainsi que des superstars plus qu'usées. Elle agite devant moi mon porte-carte, notamment la face montrant ma carte d'identité comprenant la figure d'une fillette. Je devais vraiment être partie très loin pour ne pas m'apercevoir que le morlingue avait disparu de ma table...
- Encore heureux... j'avais 6 ans.
- Oh tu sais, certains gardent la même bouille, n'est-ce-pas Jules ?
Elle lance un regard insistant au nommé qui répond par un air faussement offensé, puis se tourne vers moi.
- Jules Billard, ravi de te rencontrer... Jeanne ?
La blonde lève les yeux aux ciels quand je rigole et coupe Jules dans son élan.
- Jules, laisse-la ! (elle se tourne vers moi) L'écoute pas, chérie, tu sais, les mecs pensent avec leur bite... Sinon, moi c'est Maya, Maya Billard.
- Oh, donc vous êtes frère et sœur ?
- J'aurais aimé dire le contraire, crois moi !
Maya lance un regard noir à son frangin qui lui tire la langue, puis elle reprend.
- Alors, Jeanne, tu ramènes ton cul à la soirée ?
- Um... Je suis vraiment désolée mais je ne vois pas du tout de quoi tu parles, peut-être que tu t'es trompée de personne.
- T'es pas au courant ?! Bon remarque tu te coupe un peu du monde dans ton coin là, tu déprimes ou quoi ?
J'aurais bien aimé rester seule, mais j'imagine que ma réputation en aurait déjà pris un coup avec une fille comme Maya... Il vaut mieux jouer la carte de la fille naïve.
- Non, pas du tout. À vrai dire, j'étais juste en avance et j'étais prise dans ma musique.
Je lui montre mon iPod ainsi que mes écouteurs afin de lui prouver mes paroles. Elle décale mon sac de la place qui jadis fût occupée à mes côtés et s'installe. Merde, elle ne me laissera donc jamais tranquille !
- Amatrice de musique hein ? Allez viens ce soir ! Ça te permettra de faire connaissance avec plus de gens.
- Je veux bien, mais je ne sais pas où c'est...
- Je t'emmène !
- C'est vraiment gentil, mais j'habite à Lormont, ça te ferait de la route.
- Lormont tu dis ? Au contraire ça ne me pose aucun problème !
À son grand sourire, je comprends que je n'y échapperai pas. Et si elle aussi était lormontaise ? Mon Dieu, on dirait bien que je vais devoir m'habituer à son clapet !
- T'habites là-bas ?
- Moi non, mon copain par contre, oui. Lui aussi vient à la soirée, on ira te chercher au passage !
- J'ai toujours pas dit oui...
- Mais tu n'as pas dit non, en plus tu as accepté, mais de manière indirecte ! Donc, tu n'as désormais plus le choix ! Allez, souris, on va bien s'amuser, tu verras.
Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire en réponse, ce qui est pris pour une approbation. Et puis, après tout, elle a raison. Je pense bien m'amuser et ça me forcera à faire de nouvelles connaissances. Rester solitaire n'est pas vraiment un atout pour une future hôtelière et maman me rabâcherait encore un monologue sur la "dépression" qu'elle m'a diagnostiqué.
VOUS LISEZ
Welcome to the Hotel California
Roman d'amourCe n'est pas pour rien que l'on relie l'amour à la douleur, quand ce n'est pas l'amour qui entraîne à la douleur, c'est elle qui mène à l'amour. Olivia et Jeanne le savent.