19 - Dans la peau de Cam

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L'hiver refroidissait les cœurs et celui de Cam s'était verrouillé à l'hypocrisie des sentiments, au grand désarroi de Marco. Elle n'aimerait plus.

Ne sachant pas où poser leurs maigres valises après s'être enfui de Beauvène, il l'avait amenée dans le seul lieu qu'il connaissait, chez ses parents à Nantes. Monsieur et madame Lewandowski habitaient un quartier ouvrier où la misère sociale côtoyait l'immigration d'après-guerre. Son père était métallurgiste dans une usine de construction de locomotives appelée les Batignolles. Il ne parlait que de ça, car il ne connaissait que ça. Toute sa vie tournait autour de son travail. Chacune de ses conversations était ponctuée des mots « Batignolles » et « trains ». C'était une des raisons pour lesquelles Marco avait fui son domicile pour rejoindre la capitale. Son géniteur n'avait jamais compris qu'il puisse avoir une passion pour la musique, car lui-même n'avait aucune passion. Faire quelque chose qui ne rapportait pas d'argent ou ne servait pas les intérêts de la famille était futile et pour lui, ce qui n'était pas utile n'avait par conséquent aucun intérêt.

Le fils prodigue n'était pas revenu seul dans le giron familial. Il leur avait imposé Cam. Ils l'avaient tout de suite accepté, surtout sa mère, femme au foyer en mal de compagnie. Aimante et protectrice, elle n'avait pas imaginé que celle qu'elle voyait déjà devenir sa belle-fille ne puisse pas être autre chose qu'à son image. Il était évident que Cam allait la décevoir.

Marco avait retrouvé sa chambre d'adolescent identique à ce qu'elle avait été le jour de son départ, ce qui laissait penser que ses parents n'avaient jamais désespéré de le voir revenir. C'était une famille douce et agréable qui partageait un amour solide, et ce malgré les dissensions passées qu'ils avaient pu avoir. Cam ne se sentait pas à sa place au milieu de leur bonheur retrouvé. Ils l'avaient intégré à leur cocon, mais elle n'avait pas envie de cette vie cloitrée entre des tours grises. La famille, elle n'y croyait plus depuis un moment et il en était désormais de même pour l'amour. Tout ce qu'elle voyait pour l'instant, c'était un toit et un repas chaud tous les jours avant qu'une autre opportunité ne se présente. Elle avait conscience de la dureté de ses pensées, mais son expérience de la vie l'avait obligée à être ainsi.

Marco croyait qu'ils étaient un couple. Tout le monde ne mettait pas le même sens derrière ce mot. Sentiments, sexe, faire valoir, habitude, obligation, chacun y allait de sa définition. Cam l'avait laissé jouer avec son corps et cela lui avait suffi à présumer qu'elle l'aimait. Malheureusement pour lui, elle n'était plus ce genre de femme qui se vouait à un autre ou qui se laissait dicter ses actes par ses émotions.

Très vite, monsieur Lewandowski leur fit comprendre qu'il ne pouvait pas continuer à payer pour nourrir deux bouches de plus. Marco n'eut pas d'autres choix que de rejoindre son père à l'usine. Ce qu'il fit à contrecœur. Il s'était imaginé devoir travailler quelques semaines avant de reprendre la route. Au bout de deux mois, leur binôme, définition qui seyait à Cam, décida de se mettre en ménage et ils louèrent un appartement dans ce quartier populaire qui avait vu grandir celui qui avait rêvé de devenir musicien professionnel et qui ne le serait jamais.

Marco se voyait déjà fonder une famille. Un matin, avant de partir au turbin, il avait confié à celle qu'il voulait pour épouse sa vision de leur avenir commun. Il l'aimerait et la chérirait chaque jour. Il continuerait de travailler aux Batignolles, mais ne laisserait pas tomber la musique. Le soir, il jouerait dans les bars de Nantes en espérant se faire repérer. En attendant la consécration, les petits cachets qu'il recevrait leur permettraient de mettre de l'argent de côté. Il pourrait ainsi économiser et s'offrir une vraie maison pour élever leurs enfants. Il en voulait trois. C'était le point de départ de ses réflexions. Rien de tout cela ne faisait rêver Cam.

Marco rentrait fourbu du travail. La fatigue l'emportait sur son envie de prendre sa guitare. De plus, ses doigts, à force de boulonner, tirer de l'acier et soulever des rails, perdaient de leur agilité. Petit à petit, la colère remplaça l'affection qu'il avait pour sa compagne. Marco devenait aigri.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant