L'homme du café

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Chapitre I.

Et c'est ici que tout prendrait fin. Dans cette petite chambre qui me semblait si calme, mais qui renfermait, en réalité, notre destin. Non, le destin du monde plutôt. La peur me tordait affreusement le ventre. Après tout ce que nous venions de vivre, je voulais bien l'admettre, j'étais terrorisée. L'air était froid. Non. Glacial. Le lit sur lequel j'étais allongée semblait sur le point de briser chacun de mes os. Et lui se tenait devant moi, je pouvais le sentir malgré mes yeux clos. Et s'il décidait de me tuer ? Maintenant, tout de suite, et ce serait terminé. Ma vie n'avait plus aucun sens à ce moment précis. Pourquoi ? Pourquoi tant de souffrance pour qu'au final, tout ne se termine là ? Et je ne cessais de me questionner. Sur le sens des choses, sur eux, sur elle, sur moi. Après tout, une partie de notre plan était basée sur cette minute précise. La seule minute où je ne pouvais absolument rien faire, et où j'étais la plus vulnérable, en face de celui qui aurait pu anéantir l'espèce humaine entière. Et qui était d'ailleurs en train de le faire. Il a effleuré ma joue, en soufflant son prénom, à elle. Ma respiration s'est entrecoupée. Mon corps refusait de m'obéir. Mes muscles m'ont hurlé d'ouvrir les yeux, de sauter hors de ses couvertures, et de fuir, de rester en vie. Parce qu'il m'achèverait, c'était d'une telle évidence.

– – –
    Les minutes ne s'écoulaient plus. Le temps s'était arrêté. Il ne subsistait que les hurlements du chef par-dessus le brouhaha ambiant. Des millions de discussion emmêlées les unes aux autres. Des rires forcés et des semblants de disputes. Une chaleur artificielle étouffante. J'essayais de ramasser les morceaux de fausse porcelaine au milieu des allées et venues, mais c'était impossible. Le passage d'un seul client suffisait à réduire tous mes efforts à néant. Le café était bondé, encore plus que d'habitude. J'ai finalement réussi à jeter la cinquième tasse brisée de la journée. Toute brillamment détruite par mes soins, et par ma maladresse. Le patron me surveillait du coin de l'œil. Et je ne pouvais pas même lui en vouloir. Je n'arrivais pas vraiment à retenir toutes les commandes, et gérer la cuisine, et répéter de tête la totalité de la carte. Les douze pages. Il n'y avait d'ailleurs que le chef cuisinier qui la connaissait vraiment. J'ai jeté un énième coup d'œil furtif sur la petite horloge centrale accroché au-dessus de la porte d'entrée. Une heure. J'ai soupiré. Le café-restaurant fermerait ses portes dans soixante minutes. Et les clients ont semblé entendre ma pensée puisque trois ou quatre tables se sont libérés dans la minute. Margot, la serveuse du même roulement que le mien s'est activée à débarrasser les plats. Je l'ai aidé tant bien que mal, et en passant un coup de chiffon sur les tables du fond, mon regard a rencontré celui d'un homme en bordure de salle. Accoudé contre les larges baies vitrées, il détaillait le personnel un à un. Ses mains tremblantes retenaient la tasse de café bouillante contre lui. L'homme avait les cheveux parsemés de gris, et la peau largement vieillit par les années. J'essayais de nettoyer rapidement, mais sa présence m'obnubilait. Il y avait quelque chose d'affreux dans son regard. Une détresse immense mêlée à..., je n'arrivais pas à poser de mot. Puis ça m'est apparu. De la terreur. Ce vieil homme semblait terrorisé, hanté par quelque chose d'horrible. Margot a brisé mes pensées lorsqu'elle a déposé lourdement un seau d'eau savonneuse à mes pieds.

    ‒ Tu le fais ce soir ? C'est ton tour.

    J'ai acquiescé et elle s'est aussitôt éclipsée en cuisine. Les vitres donnaient directement sur la place de la Madeleine. Je scrutais de temps à autre cette foule d'inconnu. Une masse difforme qui semblait fuir le temps. Les lampadaires illuminaient les soupçons naissants de la nuit. Mais je veillais du coin de l'œil sur le petit homme. Et maintenant, sa peau était devenue toute pâle et son regard hagard. J'ai froncé les sourcils. Puis, avant même que je ne puisse faire un pas, l'homme s'était vivement levé. Son premier hurlement m'a troué les tympans. J'ai laissé tomber ma serpillère dans un lourd fracas.

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