Mon frère, pardonne-moi pour la brusquerie de cette irruption en ta chambre. J'aurais aimé te prévenir plus rapidement, trouver les mots, mais tout est si difficile en cet instant, d'autant plus difficile que ton épouse a crié à l'empoisonnement devant trop de témoins pour que je ne puisse faire quoi que ce soit d'autre que d'accorder aux ambassadeurs anglais ce qu'ils exigent de moi, à savoir une autopsie.
Je sais que tu n'y es pour rien, que jamais tu n'aurais fait une chose pareille, et c'est bien pour cela que je dois les laisser procéder, que je dois livrer le corps de la pauvre Henriette aux médecins. L'idée qu'ils l'ouvrent me révulse autant que toi, peut-être encore plus que toi, mais je ne puis faire autrement. Tu sais combien son frère écoutait ses complaintes à ton sujet, combien il t'en voulait, combien il te détestait. J'aurais aimé te cacher tout cela, diminuer l'impact que mes mots auront sur ton cœur déjà morcelé. Mais je ne le puis sans te mettre en danger.
Tu dois savoir que Charles II exige une enquête et qu'il pourrait faire beaucoup de mal à notre pays si je ne lui donnais satisfaction. Ce n'est pas le seul à croire en cette stupide théorie. Comme si quelqu'un aurait pu vouloir du mal à Henriette ! Je sais bien comment était son caractère, intense, mais c'est ce qui la rendait aussi brillante, aussi fascinante, si bien qu'il était difficile de l'aimer, mais impossible de la détester. Toi le premier, tu le sais.
Je t'ai vu à son chevet, tu serrais sa main comme si ta vie en dépendait, tu ne craignais même pas qu'elle te la broie tant la douleur la déchirait par moment ni que son mal puisse t'atteindre. Tu as écouté tous ses hurlements de douleur, tu as même retenu tes pleurs, tant que tes paupières en devinrent gonflées et rouges. Il suffit d'écouter ses derniers mots pour savoir qu'elle n'avait que de l'amour pour toi tant tu as été bon avec elle.
Je sais parfaitement qu'elle a laissé la douleur l'emporter, la peur de mourir la dépasser, et que lorsqu'elle a hurlé à l'empoisonnement ce n'était que parce que la souffrance était telle qu'elle pensait impossible que son corps ne la trahisse ainsi sans raison. Pourtant, son mal, nous le connaissions tous, nous l'avons tous vu dans des états si proches de la mort que nous avions craint de la perdre. Ce voyage l'a éprouvé, il est vrai, mais chaque épreuve qu'elle a traversé, les fausses couches, les fêtes qu'elle refusait de quitter, qu'elle enchaînait.
Quant à l'idée qu'elle ait pu être empoisonnée à Versailles, je n'y crois pas plus. Cela est tout simplement impensable. Je reste persuadé que chacun l'aimait, à sa manière, et qu'Henriette avait beau ne pas être aimée unanimement, personne ne la détestait à ce point. Personne ne tirera profit de son trépas. Je suis donc persuadé que cette autopsie révélera ce que nous savons déjà tous deux.
Tranquillise-toi mon frère, je t'en prie.
30 juin 1670, Versailles.
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A l'ombre du Soleil
Historical FictionRencontré sur le champs de bataille, le Chevalier de Lorraine a rapidement gagné le coeur de Monsieur, Philippe d'Orléans, le frère de Louis XIV. Mais cet amant insolent, indomptable et passionnant dérange à la cour, particulièrement son épouse jalo...