28 - Ce dont ils se souviennent

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- Tu es marié ? demanda Camille en guise de préambule.

- Oui, répondit-il sans plus de précision.

Il l'avait invitée dans un café assez chic d'Aix après avoir laissé en plan les deux libraires et sa séance de dédicace. Il avait considéré qu'être avec elle était plus important que sa carrière, qui n'aurait de toute évidence pas pris un essor considérable dans la Florence provençale. Sur le chemin qui les avait éloignés de miss tripoteuse de bras, il n'avait cessé de répéter combien il était heureux de la retrouver. Depuis qu'ils étaient assis, l'euphorie était retombée pour laisser place à un silence gênant empli de trouble.

Qu'avaient-ils à se dire après toutes ces années ?

- J'avais appelé tes parents, se confia-t-il. Après ta disparition, j'ai cherché à te revoir, mais tu n'étais pas rentré chez toi. Ton père m'avait promis de m'appeler si tu rentrais.

- Il est mort.

- Ah ! Je suis désolé.

- Pas moi. Tout le monde semble aller mieux depuis qu'il est parti.

Camille espérait qu'il ne la trouve pas trop froide avec cette affirmation, mais c'était un fait avéré. Sa famille ne subissait plus la pression dictatoriale du patriarche et personne ne s'en plaignait. Renée mère l'avait pleuré quelques mois et avait vite découvert qu'elle pouvait être autre chose que la femme de son mari. Les larmes avaient séché et les rides du sourire au coin des yeux, jusqu'ici très peu prononcées, s'étaient creusées. Ce n'était pas horrible de penser que c'était mieux depuis qu'il était six pieds sous terre, c'était factuel. Camille lui était reconnaissante d'être venu la voir pendant son internement. Il avait prouvé son attachement à sa fille, mais il était déjà trop tard. Après ses huit années dans le noir, elle était rentrée dans ce nouvel environnement libéré de son emprise. Elle qui n'avait connu que sa monocratie avant de fuir le régime en place n'avait éprouvé aucun chagrin à son égard.

Pierre avait cherché à la retrouver. C'était l'information qu'elle attendait. Elle venait s'ajouter à ce qu'elle avait lu et qui laissait penser qu'il avait été encore amoureux d'elle quelques années après sa disparition. Dans sa vie, il n'y avait pas eu beaucoup de personnes qui l'avaient fait se sentir vivante. Pierre était l'une d'elles, l'autre était Michèle. Voilà pourquoi sa prochaine question était décisive pour elle.

- C'est Michèle ? Je veux dire, ta femme c'est elle ? Vous vous êtes mariés ?

Pierre sourit.

- Non, ce n'est pas elle. Tu ne la connais pas. Elle s'appelle Jeanne, et nous allons bientôt avoir un enfant. Elle est restée à la maison parce que le médecin lui déconseille de faire trop de route, sinon elle serait avec moi aujourd'hui.

Sa femme n'était pas là. Cette révélation lui provoqua un léger frisson.

- Mais Michèle...

- Michèle est partie vivre aux États-Unis. Elle est à New York. Elle a voulu vivre son rêve américain. Quand la communauté a été obligée de quitter la maison de Gérard, elle m'a suivi à Paris. Elle a commencé à faire des petits boulots, mais la magie avait disparu. Elle ne tenait pas en place et elle est partie vivre à San Francisco. Après quelques années, elle a rejoint New York. On s'écrit encore de temps à autre. Elle est mariée et a deux enfants.

New York. Camille qui n'avait jamais quitté l'hexagone avait toujours rêvé aller aux États-Unis et plus particulièrement dans la ville qui ne dormait jamais. Pour l'instant, elle devait se contenter d'une vie paisible dans une petite ville du sud de la France, un lieu qui devait peut-être faire rêver un Américain. Certaines personnes avaient toujours l'impression que la vie pouvait être mieux ailleurs.

Au-delà de l'aubeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant