Du sang sur les mains

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Otsu détestait monter à cheval. Pas qu'elle avait peur, qu'elle était mauvaise cavalière ou quoi que ce soit. Elle ne supportait simplement pas d'exiger de ces pauvres bêtes une quelconque forme de soumission. Seulement, aujourd'hui, Otsu allait devoir s'asseoir sur ses principes en même temps que sur sa monture. Il lui fallait se rendre auprès d'Erwin Smith le plus vite possible.

Des vies en dépendaient.

Alors, quand, quelques jours plus tard, Smith, Livaï et Zoé la virent débouler dans leur QG, ils furent très certainement les plus surpris. Cela allait sans dire par ailleurs, puisqu'ils étaient bien les seules personnes dans le château à connaître l'existence d'Otsu, et son rôle pour le Bataillon.

« Otsu ? On ne vous attendait pas si tôt. Vous n'êtes partis qu'il y a deux semaines. J'en déduis que vous avez découvert quelque chose d'important.

- Important, oui. Vital même. J'ai tout consigné là dedans. »

Et d'un geste, la brune jeta une enveloppe pleine sur le bureau du Major et quitta le bureau sur un bref salut de la tête. Elle avait besoin d'une douche, et surtout de réfléchir à la suite des opérations.

L'eau chaude lui fit un bien fou. Un luxe qui lui avait cruellement manqué sur la route. Ses muscles se décontractèrent pour la première fois depuis des jours, et sa peau redevint blanche, débarrassée de toute la crasse qui la couvrait dès son premier jour dans l'usine Altonen. Même si elle avait eu la chance de profiter d'installations hygiéniques bien meilleures pendant sa mission, un seul pas en dehors de la salle bain suffisait à couvrir sa peau d'une fine couche de poussière. L'eau s'écoulait noire dans le siphon, noire et chargée d'amertume. Elle prit un plaisir immense à passer ses doigts dans ses cheveux, à les savonner, à les démêler, et à sentir bientôt leur douceur habituelle. Trois fois, Otsu se lava des orteils jusqu'au bout de ses pointes abîmées. Enfin, apaisée et délassée, la prostituée, enroulée dans une épaisse serviette blanche qu'elle avait volé au passage, regagna la chambre qu'on lui avait attribué avant son départ, et qui depuis était officieusement restée la sienne. La chambre ne comportait qu'un lit, une armoire grinçante et un vieux bureau accompagné d'une chaise plus qu'élimée.

Rudimentaire, mais suffisant, même si un peu déprimant. Elle avait goûté à tant de luxe dans l'usine...

Otsu rangea ces souvenirs agréables dans un coin de sa tête et se planta devant son armoire pour en sortir les seuls vêtements propres qui s'y trouvaient. Un pantalon blanc et une chemise assortie. Uniforme classique de l'armée. Elle s'apprêtait à se changer quand ses mains s'arrêtèrent sur la serviette. Son geste suspendu dans l'air, Otsu attendit.

Et la porte claqua. La jeune femme se retourna aussitôt pour découvrir le caporal dans l'embrasure, l'oeil noir. Otsu ne l'avait pas vu ainsi depuis cette nuit où elle était venu avertir le Major. Mais cette fois, aucune crainte ne la cloua sur place, et elle lui fit face, la tête haute et le regard acéré.

« C'est vrai ? »

Oh, bien sûr, Otsu eut envie de lui répondre que non, qu'elle s'ennuyait simplement sur la route, mais l'affaire était trop grave. Qui savait combien de soldats le caporal avait perdu à cause de cette histoire ? Alors Otsu, après un bref instant de silence, se contenta de hocher la tête. Livaï s'avança dans la chambre et la porte claqua encore derrière lui, pleine de colère.

« Vas-y, fais comme chez toi. »

Il posa sur elle son éternel regard las, et s'il détailla un instant sa tenue, il n'en laissa rien paraître. Otsu savait qu'il n'était pas là pour ça. Elle savait qu'il n'y avait rien à craindre du caporal. Pas sur ce point là, en tout cas. Pour autant, la prostituée n'allait certainement pas accepter son comportement. Resserrant sa serviette autour de sa poitrine, Otsu se campa fermement devant lui, une main sur la hanche.

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