Chapitre 3

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Hannah, Août 2061


J'oubliais la lettre, je voulais passer une soirée tranquille. Nous en discuterions une fois que j'en saurais plus. Maman lisait sur la terrasse avec Noori. J'enfilais un T-shirt long en rejoignant Luyu qui avait fini tôt aujourd'hui. Il était dans la cuisine et préparait le repas. J'enroulais mes bras autour de son torse et soupirais de satisfaction de l'avoir dans ma vie.

 
— Dure journée love ? me demanda-t-il.


— Longue, mais al hamdoulilah* elle est enfin finie et toi Lu ?


— Moi ça va, on a avancé sur les prototypes quantiques de transport. On devrait commencer les premiers tests en laboratoire dans les semaines à venir.

 
Il posa sa spatule et me souleva pour me poser sur le plan de travail. J'adorais le regarder s'affairer en cuisine, c'était comme regarder un musicien composer une partition. Il était beau, sa peau sombre brillait dans la lumière rougeoyante du coucher de soleil. Ses grands yeux en amandes se plissaient lorsqu'il riait et il riait beaucoup, tout le temps.
Nous ne nous aimions pas comme la passion du coup de foudre, mais comme des partenaires qui grandissaient l'un à côté de l'autre. Tendres amants et meilleurs amis. Nous nous soutenions dans chaque épreuve. J'admirais la force avec laquelle il avançait dans la vie. Il avait été abandonné par ses parents, d'anciens « Gilets jaunes », qui n'avaient plus les moyens de s'occuper de lui. Ils avaient participé au mouvement pendant des décennies, s'entêtant pour obtenir la justice sociale qu'ils méritaient. Luyu avait compris leur décision malgré son jeune âge, mais il ne voulait pas de cette vie. Ils lui avaient laissé le choix : supporter leur train de vie de militants ou partir en foyer.

Noori entra dans la cuisine d'une démarche assurée. En me voyant, elle courut vers moi les bras tendus.

 
— Maman ! Papa !


Je l'installais sur mes genoux, elle se lova contre moi pour regarder Luyu. D'habitude, elle laissait volontiers nos jeux pour cuisiner avec son papa dès qu'il était à la maison. Comme j'étais rentrée tard aujourd'hui, nous n'avions pas encore eu de moment à deux. Noori était une enfant fougueuse et curieuse. Elle n'avait pas peur de babiller avec les passants qu'elle trouvait intéressants. Elle avait immédiatement accroché avec Edward. Il l'adorait.
Après avoir couché Noori, je rejoignis Maman dans le salon. Elle l'emmenait et la ramenait de la crèche, puis elles jardinaient ensemble sur la terrasse. Les jours où nous travaillions tard, sa grand-mère la couchait en lui racontant des histoires de mon enfance.
Comme elle passait beaucoup de temps chez nous, je lui avais installé un atelier dans une partie du salon face à la fenêtre pour dessiner. Depuis la mort de papa, elle avait recommencé à peindre. Elle s'inspirait de ses carnets de voyages. Mélangeant sensations et illustration de scènes typiques. Quelques fois, elle nous peignait tous ensemble, comme si Papa était encore là. C'était un moyen de ne pas oublier les joies de sa vie et de raconter les héritages de Noori. « Quand elle sera plus grande ces toiles et carnets seront pour elle, me disait Maman à chaque toile finie. » Je ne les avais jamais vu. Elle ne les finissait jamais chez nous.


— Ce sera une surprise pour vous tous, le portrait de notre vie et d'une époque qui touche à sa fin j'ai l'impression, dit-elle en rangeant sa dernière toile.


— Tu y vas Maman ?


— Oui ma chérie.


— Attends Oma, je te ramène.

Luyu prit les clés de la voiture et m'embrassa.


— Prend un peu de temps pour toi, quand je rentre je veux te voir détendue et au lit en train de gamer.

La France GriseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant