Chapitre 4

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Hannah, Août 2061


Incrédule, j'avais l'impression d'étouffer. Je réussis difficilement à articuler : 

— Est-ce qu'il ne faudrait pas prévenir les usagers ? En fait, est-ce qu'il ne faudrait pas prévenir tout le monde? demandais-je interloquée, les larmes aux yeux.

— Hannah, je comprends que tu aies envie d'agir, maintenant que tu es au courant. Mais ce n'est pas aussi simple que ça. Rassure-toi, d'autres entreprises ont reçu l'alerte. Je réfléchis à ce problème depuis plusieurs semaines. Et pour être honnête, la seule solution viable, c'est fermer notre branche française le plus rapidement possible. Ma priorité, c'est de vous mettre en sécurité. J'ai programmé une conférence demain pour l'annoncer officiellement au personnel qui sera le plus impacté. Ensuite, j'essaierai de trouver la meilleure manière de communiquer publiquement sur le sujet. Sache qu'à partir de ce soir, nous pourrions tous devenir des cibles à SÉQUOIA.

— Des cibles ?

— Même si on a effacé nos traces, on peut remonter jusqu'à nous. La manière dont il s'est déconnecté m'inquiète fortement. Il se peut qu'il soit en danger. Par conséquent, nous aussi.

Comment étions-nous arrivés là ? Jusqu'où cette histoire allait-elle nous mener ? Je pensais aux nombreux épisodes d'épuration ethnique de l'Histoire. À l'assimilationnisme systématique, dès lors qu'une civilisation s'essoufflait. Sous prétexte d'éradiquer le racisme, de renforcer l'esprit de la nation et d'accéder à un progrès élitiste ultramoderne, on assisterait bientôt à une nouvelle forme d'épuration. Elle serait bien plus radicale que les précédentes. Les Français seront-t-ils prêt ? J'étais atterrée. Un mélange de peur, de honte et de courage me donnait la nausée.
J'allais récupérer mes affaires. Une nouvelle enveloppe m'attendait sur mon bureau. Je ne l'ouvris pas. Je connaissais déjà son contenu.
Je rentrai la tête basse. Le ciel au-dessus de moi, d'un bleu azuré, contrastait avec mon état d'esprit. J'avais envie de rentrer, de me mettre sous une couette pour ne plus sortir du lit. Je ressentis une brûlure dans mon cœur. Maintenant que je venais de décider de vivre dans mon pays, il me fallait le quitter. Après des années passées à faire valoir nos droits de citoyens français, on nous conformait à une image unique. Quel gâchis ! Quelle tristesse...Secouant la tête pour reprendre mes esprits, je n'avais pas le temps d'être triste. Il me fallait garder la tête froide. Mon choix était déjà fait. Si Hélène avait raison, évidemment que la France deviendrait un cauchemar pour les gens comme nous. Il était hors de question que je laisse Noori grandir dans un tel environnement. Je devais être encore plus forte, la protéger.
Je retrouvai Maman et Noori à la maison. Je ne voulais pas pleurer devant mon enfant, je m'assis comme pour jouer avec elle, mais elle remarqua immédiatement que quelque chose n'allait pas. Avec ses petits bras, elle prit ma tête et l'embrassa avec toute la force dont elle était capable .

— Pas triste, Maman. Noori câlin.

Je ne put retenir mes larmes plus longtemps. Elles tracèrent leur chemin sur mes joues. Je la serrais fort dans mes bras.

— Merci mon bébé. Tu me fais du bien.

Maman, qui avait remarqué que quelque chose clochait, se leva sans un mot pour me préparer une infusion. Je me mis à bercer Noori qui continuait de me câliner. Elle finit par s'endormir. Une fois Noori posée dans son lit, je retournais au salon. Je demandais à Maman de patienter un peu. Je n'étais pas sûre d'avoir le courage d'annoncer deux fois ce qui m'avait mise dans cet état. Je buvais mon thé à petites gorgées, appréciant la chaleur qui se dégageait de la tasse.
C'est à ce moment que Luyu passa le pas de la porte. Je les installai sur le canapé et commençai le récit de ma soirée. Ils ne m'interrompirent pas. Je vis leur visage s'assombrir au fur et à mesure que je donnais le peu d'explications en ma possession. Maman, dans son pragmatisme de spécialiste, n'eut pas l'air surprise, juste en colère. Elle avait vécu dans les années, 2010-2020, les violents mouvements sociaux et les quelques batailles remportées pour la protection minorités, leur identités, leur religions et leur ethnicités. Sa génération avaient été les témoins de nouveaux systèmes de solidarité créés à partir de ses évènements.

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