J'aurais pu me sentir menacée, mise à nue par l'insistance de son regard. Mais je ne ressens qu'une peine profonde que l'on acculerait dans le fond d'une cage, tant est que cela soit possible. À travers les barreaux, une douce chaleur caresserait mon chagrin avec réconfort.
Alors je plonge mes yeux embrumés de larmes dans ceux d'Alastor qui se font attentifs. Mes parents m'ont toujours dit que fixer les gens n'est pas très poli, néanmoins, ces pupilles vertes semblent être mon seul ancrage dans la débandade de mes émotions.
J'inspire profondément, calmant mes sanglots, puis finis par me redresser pour m'appuyer contre le mur. Alastor ne fait ni ne dit rien, se contenant de m'observer avec la plus grande attention. J'essuie mes joues en reniflant grossièrement, une scène qui doit être très charmante d'un point de vue extérieur. Plaquant mes cheveux sur mon crâne de mes mains couvertes de larmes, je ne peux m'empêcher de lâcher un petit rire. Je dois faire peur à voir à force de tant pleurer. En fait, je dois ressembler à une otarie.
Exténuée par le chamboulement émotionnel que je vis, je tourne la tête vers Alastor pour lui dévoiler mes yeux d'otarie galeuse. Voyant qu'il reste impassible, dans l'attente d'une réponse que je ne daigne pas à donner, un sourire étire mes lèvres.
– Qu'a-t-on fait au grand Alastor pour qu'il garde ses âneries pour lui ? Est-ce mon charme naturel d'otarie maladie qui te fait de l'oeil ?
– Arrête de louvoyer, Angèle. Et dis-moi plutôt ce qu'il t'arrive.
Face à son sérieux, mon sourire retombe et je baisse la tête, fixant les défauts du sol.
– C'est Gabriel, finis-je par soupirer. J'ai voulu faire quelques recherches sur Satan dans l'espoir de trouver une piste qui m'aiderait à remonter jusqu'à l'assassin de ma soeur, mais... je suis tombée sur des archétypes. J'allais arrêter quand... j'ai cliqué sur un blog.
Ma voix enrayée par l'émotion, je peine à continuer. J'ai beau pleurer depuis ce matin, ça n'aide pas à faire passer ma découverte. En même temps, comment réagiriez-vous si vous appreniez qu'on vous observe depuis votre naissance dans le but d'accomplir le dessein égoïste de Dieu lui-même ? Ou plutôt devrais-je dire Gabriel, car l'image que nous avons tous de Dieu est trop bienveillante et pleine de générosité, hors Gabriel est loin de l'image qu'il se donne. Donc j'aurais pu tomber sur un genre d'Ange Gardien, et ça m'aurait même plu, mais... lorsqu'on vous dit que cet « Ange Gardien » se révèle être un psychopathe égoïste et manipulateur, ça vend tout de suite moins de rêve. Bien que j'aurais dû me douter de cette issue... Après tout, j'ai une tendance à attirer les psychopathes.
Un frisson me parcourt et ce n'est qu'à ce moment que je remarque la main d'Alastor posée sur mon genou. J'y jette un coup d'oeil mais ne la retire pas pour autant. Il est actuellement le seul à me soutenir. Mes parents me voient possédée d'un mal. Anaïs ne croit pas en la malveillance de Gabriel. Eve... je ne supporterais pas de l'embrigader dans ce merdier. Et ma jumelle ainsi que Tantine sont mortes, dont l'une reste introuvable. Ça ne me laisse donc qu'Alastor, pour qui je n'ai pas trop de scrupules à lui exposer tout ce bourbier et à l'y emmener. Je sais qu'il s'en sortira, après tout il reste le Diable, peu importe les défauts qu'on lui attribue et leur véracité, il doit être doté de certains tours de passe-passe. Il l'a d'ailleurs affirmé lui-même. Mais mon comportement envers lui ne doit pas être perçu comme un acte méchant et dénué d'empathie, je ne souhaite pas qu'il meure — bien que je doute que cela puisse arriver — ou qu'il se blesse. Je commence à sincèrement l'apprécier, mais ça, il n'a pas à le savoir.
– C'était celui de Gabriel, avouai-je après plusieurs secondes qui ont dû paraître longues pour Alastor, ancré dans son mutisme et son immobilité. Il n'a mentionné aucun nom, pas même le sien, mais je suis sûre de moi. Il a décrit des moments de ma vie, il... il a toujours été là. Tout le temps, ajoutai-je d'une voix étranglée. Il m'a observée en attendant que je grandisse et que je tombe dans son panneau de chevalier blanc. Il est ignoble. C'est un monstre ! lançai-je à mon interlocuteur en me tournant brusquement vers lui pour m'accrocher à son t-shirt. Il n'arrêtait pas de répéter qu'il me voulait pour lui tout seul, qu'il ferait tout pour m'avoir, comme si je n'étais qu'un vulgaire jouet. Il m'a épié dans le but de relever mes failles et de les utiliser contre moi. Tout ça pour quoi ? Pour que je tombe dans ses bras et que plus jamais il ne me libère.
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De l'Autre Côté
Paranormal« Vous connaissez l'expression « être une grenouille de bénitier » ? Eh bien je peux vous assurer que tous les membres de ma famille sont des batraciens. Par là j'entends : croix en folie et messes à gogo. Ma famille est si religieuse que Satan lui...