Auschwitz à expliquer : des souvenirs gravés

29 1 1
                                    


Par où commencer ? Par quoi engager le récit ? Et surtout comment finir ? Que dire, ou justement ne pas dire ?
Il m'aurait fallu de nombreux tomes pour évoquer ce voyage.
Il m'aurait fallu des heures pour tout vous raconter, exprimer tous les sentiments qui m'ont empoigné...
On arrive chez nous épuisé et bouleversé par ce voyage dans le temps et dans l'horreur. Tout de suite, les gens nous
assaillent de questions, insistent pour que nous racontions notre voyage. Mais nous n'y arrivons pas. Nous avons la gorge serrée et nouée mais pourtant la tête pleine d'images, de cris ,de voix et de pleures. Alors nous nous taisons, ou nous donnons juste quelques détails qui devraient suffire à satisfaire la curiosité des gens.
Mais pourquoi n'arrivons-nous donc pas à parler ?
Sans doute parce qu'il n'y aura jamais de mots assez justes pour décrire l'inimaginable et qu'il aurait fallu inventer tout un vocabulaire pour décrire la Shoah. Sans doute parce qu'il faut se rendre sur les lieux même de la barbarie, voir de ses propres yeux, sentir, toucher, être proche de ceux qui ont souffert horriblement et qui sont morts de la main de bourreaux particulièrement féroces et inhumains, sans larmes de leurs amis pour adoucir leurs derniers instants sur terre !
Ce voyage fut plus qu'un voyage organisé dans le cadre scolaire avec nos professeurs et nos camarades de classe. Qu'importe s'il n'a duré que quatre jours. En fait, ce voyage durera toute une vie.
Nous sommes revenues investies d'un devoir, d'une responsabilité, d'une exigence de commémoration et surtout de témoignage. Actuellement l'Etat polonais discute sur la suppression du camp Auschwitz-Birkenau. Ces lieux qui ont vu mourir des milliers de personnes, qui s'en souvient encore ? Qui VEUT s'en souvenir ? Nous vivons dans une société qui privilégie le présent, qui ne cherche que la satisfaction des besoins matériels et le bien-être, et qui préfère oublier qu'un jour l'homme a été capable de programmer l'extermination de ses semblables : juifs, Tsiganes, résistants, homosexuels.
Bien entendu seuls les tsiganes et les juifs sont destinés à l'extermination. Les homosexuels allemands doivent être rééduqués pour avoir des enfants aryens .Quant aux résistants ils sont punis et PARFOIS ( selon l'humeur) tués dès l'arrivée quand ils font partie de la catégorie «nacht und nebel » , nuit et brouillard et tous doivent bien évidemment disparaître sans laisser de traces !
Mais oublier le passé c'est se condamner à le voir se répéter. Il suffit pourtant de quelques heures de train ou moins encore d'avion pour contempler les vestiges encore vivaces de ce que la haine peut engendrer. Comment concevoir qu'un endroit où de si atroces horreurs ont été commises ne soit plus connu ? Comment comprendre que toutes ces souffrances subies par tant de juifs soient ignorées, voire contestées, niées autrement dit les négationnistes .
Portions-nous un triangle noir pour être dénoncés comme asociaux ? Portions- nous un triangle vert pour être accusés de crimes de droit commun ? Portions-nous un triangle rouge pour être traités de politiques révolutionnaires ? Non ! Non et non ! Nous, nous portions un triangle jaune où était marqué « Jude », juif, car notre unique « crime » était d'être Juifs. Oui, vous avez bien entendu. Pour ces nazis, être juif était un crime ! Ils voulaient que nous ayons honte de notre histoire,de notre culture, de notre religion, de notre identité, de notre peuple. Autrefois, on nous chassait dans le meilleur des cas... mais on préférait plutôt nous convertir de force, nous brûler, nous assassiner dans des pogroms. Mais les nazis ont trouvé mieux : nous rayer de la surface de la terre.
Le camp d'Auschwitz-Birkenau était réputé pour son organisation « grandiose »... Car si la fin fut pour beaucoup tout aussi tragique que par le passé, le raffinement des moyens d'extermination dans les camps nazis avait atteint son comble.
Les prisonniers espéraient toujours que les Alliés débarqueraient bientôt pour les sauver. Mais d'ici là ? Qui serait encore en vie ? Que faire alors ? Riposter ? Une folie ! Quand un seul juif commettait une faute, contrevenait au règlement du camp, on considérait que tous les juifs étaient responsables et on leur attribuait la même punition que le coupable. Il y avait un
principe à Auschwitz-Birkenau qui résumait le mode de traitement des Juifs : « Steht auf, geht und bewegt euch, ihr geht alle schnell raus» : « Levez-vous, sortez et bougez-vous, sortez tous vite ». C'est par principe qu'ils te harcèlent, pour te faire gaspiller un maximum d'énergie. Pour le « docteur » Mengele les femmes juives étaient des cobayes bon marché. On ne pouvait que se réjouir de leurs souffrances, et si elles en crevaient, ça faisait peu de différence. De nombreux SS ont violé les femmes malgré leurs propres lois de « pureté de la race ». Mais ils s'en fichaient. C'était une « pratique » ordinaire, permise. C'etait la mode à l'époque ! Chaque année, il semblait d'ailleurs y avoir une nouvelle mode chez les SS. Ainsi en 1940, leur grand « amusement » consistait à empoigner des jeunes enfants insouciants, joyeux, heureux de vivre (sinon ce n'était pas drôle, n'est-ce pas...) et à leur fracasser la tête contre un arbre. En 1941, c'était autre chose : ils prenaient un bac d'eau et y enfonçaient la tête de l'enfant. Après, ils se sont facilité la tâche : ils liquidèrent les juifs avec du gaz : ça extermine les gens de manière beaucoup plus radicale, plus rapide et en plus grandes quantités à la fois. Quel progrès scientifique ils avaient accomplis !
L'énorme complexe d'Auschwitz-Birkenau était organisé en trois espaces : Auschwitz I, Auschwitz II-Birkenau (le centre du processus d'extermination) et Auschwitz Ill -Monowitz avec les usines de Buna et de nombreux petits camps. Tout cela représentait au total 2500 travailleurs. Auschwitz était plus qu'un lieu de torture à grande échelle. C'était une autre planète, l'usine de la mort, comme on l'appelait, là où les ouvriers étaient moins chers que n'importe où dans le monde, parce qu'ils étaient gratuits !
« Sabotage ! », leur jetaient-ils au visage. Certes, on peut parler de sabotage quand, à leur arrivée, ils étaient accueillis en musique pour faire croire que ce lieu infernal était un lieu de délices et de plaisirs. Oui, on peut parler de sabotage lorsqu'on leur faisait croire qu'ils allaient prendre une bonne douche après tant de jours de voyage entassés comme du bétail, sans avaler une miette de pain ni boire une gouttelette d'eau. Voilà où se trouve le sabotage, le sabotage de prendre une douche bien chaude pour dilater au maximum les pores afin que le « célèbre » Zyklon B fasse son œuvre de mort ! Car il fallait les faire souffrir coûte que coûte. Ceux qui étaient dirigés vers la chambre à gaz immédiatement après la «sélection » qui était organisée à la descente du train, avaient finalement de la chance, si on peut dire, car ils n'avaient pas eu le temps de souffrir longtemps. Mais les autres allaient souffrir de la faim, du froid, du manque de sommeil, de la brutalité des «kapos », chargés de commander ENERGIQUEMENT les déportés. Et le travail était d'autant plus pénible que les Juifs s'affaiblissaient de jour en jour. Car, pour douze heures de travail intense, acharné, forcé, effectué dans des conditions inimaginables, la ration quotidienne d'un déporté était d'un litre de soupe claire et quelques miettes de pain. Très rarement, selon le bon vouloir des nazis, ils recevaient une petite cuillère de margarine. Au manque de nourriture s'ajoutait le froid. En effet, hiver comme été, ils ne portaient qu'une chemise et un pantalon faits d'une légère couche de tissu que les SS osaient nommer vêtements. Et puis les chaussures ; peut-on appeler ainsi un morceau de bois mal taillé ?...
Mais les nazis ont réservé aux Juifs pire encore que le travail d'esclaves et d'atroces mises à mort. Ils ont imaginé le processus de DESHUMANISATION. Voilà le pire, car c'est un moyen pour faire mourir leur âme. Déjà, à leur descente du train, les Juifs étaient immédiatement séparés de leurs familles, que la plupart ne reverront plus jamais. Ils devenaient des êtres sans racine, sans êtres chers, sans passé, sans traditions familiales. Leurs noms même étaient effacés, réduits et devenus des numéros qu'on leur tatouait sur leur corps (plus précisément sur l'avant bras) comme on le fait pour le bétail. Cette étape cruciale du tatouage se déroulait une fois que les Juifs avaient passé avec succès l'épreuve de la sélection. Ensuite venait la triste et humiliante étape de la « désinfection ». Une fois encore, on leur faisait croire que l'étape du «coiffeur » avait pour but d'éviter les épidémies de poux, que c'était « pour leur bien ». On les tondait comme des moutons, et après, c'était à peine s'ils avaient figure humaine.
Chaque camp était entouré de fils de barbelé. Impossible de s'enfuir du regard des êtres abominables, monstrueux, véritablement inhumains eux, que sont les nazis qui les surveillaient jour et nuit du haut des miradors.
Et puis, comment décrire les paroles, les regards, les gestes des SS envers les détenus. Je n'y arrive pas. J'ai beau chercher des termes bien précis, aucun ne parvient à définir parfaitement la fourberie et la cruauté de ces gens. Lesquels ne sont pas des êtres humains, selon moi, et je sais que vous partagez mon avis.
Voilà ce que vécurent, furent et subirent les juifs déportés entre 1939 jusqu'à la libération des camps entre 1944 et 1945.
Pour les prisonniers, l'espoir n'a jamais été un rêve. « Beaucoup » survécurent grâce à leur détermination à survivre, mais aussi grâce à l'entraide entre déportés qui leur a permis de résister non seulement physiquement mais aussi moralement, car dans les camps l'humanité n'avait pas complètement déserté malgré les efforts des nazis. Après la libération des camps, tous voulurent partir loin, oublier, commencer une nouvelle vie. Mais survivre pourquoi faire ? Comment vivre après Auschwitz ? Après avoir vécu de longues années dans un lieu déshumanisant et affaiblissant, il leur était impossible de reprendre une vie normale. Mais à quoi servait de reprendre leur vie d'avant s'ils n'avaient retrouvé ni leur famille ni leur foyer ? C'est pourquoi nombre d'entre eux ont nommé cette période « une vie entre parenthèses ». Mardi 22 mars nous avons pris la route en direction de Maidanek. Contrairement à de nombreux camps nazis, celui de Maidanek n'était pas caché dans une forêt, hors de la vue des habitants, ni entouré par une zone dite « de sécurité » mais placé tout près de la ville. C'est ce qui nous a choquées lorsque le guide nous en montra l'entrée. Regardez jusqu'où va la barbarie des SS : installer un camp d'extermination en centre-ville fut un moyen pour montrer au monde qu'ils ne maltraitaient pas les juifs . Nous avons suivi le destin d'Halina Birenbaum, jeune adolescente qui arriva à Maidanek, survécut aux chambres à gaz, résista à l'extermination mais en sortit sans sa maman. Le camp est IMMENSE. Nous avons marché des kilomètres le long desquels étaient alignés des centaines de « blocks » , baraques où vivaient des détenus, des fours crématoires et des chambres à gaz. C'est à Maidanek que s'élève la triste et célèbre montagne de cendres humaines. Voilà qu'arrive le dernier jour du voyage Mercredi 23 mars , que toutes nous redoutons, car nous n'avons pas envie de quitter ces lieux. Nous ressentons une envie profonde de rester avec « eux », les morts, avec lesquels, finalement nous avons vécu, et que notre présence sur les lieux de leurs souffrances a permis de ressusciter. Une sorte de lien s'est établi entre nous et eux, et nous ressentons un devoir envers eux. Nous nous rendîmes à la forêt de Zbylitowska Gora, là où se déroula la « Shoah par Balle ».
Un énorme merci à TOUTES les personnes qui sont derrière toute cette organisation pointilleuse, elles se reconnaitront sans aucun doute ! Je vous en suis très reconnaissante, et vous remercie infiniment.
Enfin j'aimerais accorder quelques lignes à ma chère école qui m'a donné l'opportunité et la chance d'aller commémorer et voir de mes propres yeux ce qui a été longtemps pour moi un moment de l'Histoire touchant mais somme toute loin de ma vie.
Ce voyage m'a permis de comprendre ce qui s'est passé afin de passer le témoin. Je sais que désormais je dois parler et raconter pour que plus jamais cette monstruosité de l'humanité ne revienne; et pour cela, je me dois de transmettre ce que j'ai vu et ce que j'ai compris.
Merci à ma chère école de nous avoir permis de vivre une expérience forte, riche et surtout importante à vivre car, finalement, nous revenons avec une pulsion de vie. Ce n'est pas un voyage macabre ; au contraire, il nous a appris qu'il faut respecter et célébrer la vie .
Merci d'avoir accordé quelques minutes pour lire mon article dont la rédaction me tenait profondément à cœur. Comme une sorte d'obligation, un besoin qui vient tout droit du cœur.

FDIDA ETHEL

Auschwitz à expliquer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant