8. Confusion

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Il lâcha mon poignet aussi rapidement qu'il l'avait pris et fit un pas en arrière comme s'il devait s'éloigner au plus vite. Il sembla troublé par notre contact autant que je pouvais l'être, mais se reprit aussitôt. Il me sourit, d'un sourire sincère et plein de promesses et après avoir scruté du regard les alentours, sans ajouter un mot il se tourna et partit d'un pas rapide.

Je le regardai s'en aller au milieu des gens, abasourdie et totalement incapable de réagir face à ce qui venait de se produire. Et lorsqu'il disparut au coin d'une rue, je me mis à examiner mon poignet, le frottant de manière machinale comme s'il était possible de retrouver son contact par l'intermédiaire de ce geste.

Sa dernière phrase résonnait dans ma tête comme une promesse et même si je n'avais pas compris pourquoi il m'avait dit tout ça, j'avais au moins la satisfaction de me dire que sa présence ici n'avait jamais tenu du hasard ! Je ne savais toujours pas qui il était, ni ce qu'il avait à me dire, ni même pourquoi il s'était adressé à moi en particulier, mais étrangement seul comptait le fait de savoir que j'allais le revoir.

La sensation glacée du vent qui s'engouffrait sous mon pull me prit par surprise et je commençai subitement à greloter. L'adrénaline avait permis à mon corps de faire abstraction des conditions climatiques, mais ce n'était plus le cas à présent. Mais malgré le fait que mon corps se mette à trembler de façon incontrôlée, j'étais encore incapable de réagir. Par chance, je finis tout de même par entendre au-delà de la confusion de mon esprit, Clémence qui hurlait mon nom de l'autre côté de la route et je parvins à reprendre suffisamment de contrôle sur moi-même pour lui jeter un coup d'œil et effectuer le chemin en sens inverse.

Mon amie m'attendait sur le pas de la porte les bras croisés, frigorifiée elle aussi. Dès que j'arrivai à sa hauteur, elle passa son bras par-dessus mes épaules pour m'entraîner à l'intérieur. Certaines personnes se retournèrent pour nous regarder, nous jetant des regards contrariés, probablement incommodés par le va-et-vient que nous venions de faire et par le froid qui s'engouffrait dans la pièce.

- Mais t'es dingue ou quoi d'être partie comme ça, qu'est-ce qui t'a pris !? commença Clémence sur un ton de reproche faisant à priori de gros efforts pour ne pas parler trop fort. En plus, tu as failli te faire écraser dix fois en traversant, tu m'as fait une de ces peurs !

Elle avait l'air consternée, mais me gardait tout contre elle afin de me guider jusqu'à la table. Reconnaissante, je la laissai m'emmener sans rien dire, encore secouée par ce qui venait de se produire.

- Mais qui est ce type ? reprit-elle dès que nous arrivâmes à notre table.

Ce qui me semblait fou était qu'elle paraissait plus indignée par le fait de n'avoir encore jamais entendu parler de cet homme que par mon comportement étrange! Et en temps normal, cela m'aurait fait rire, mais là, ce n'était pas le cas.

- Tu es complètement gelée! Finis ton café, il est encore chaud.

Elle se calma un peu, mais ne put s'empêcher de continuer à parler et elle m'expliqua alors qu'elle avait suivi toute la scène depuis le café. Perdue dans mes pensées, je l'entendais à peine, contemplant sans le voir le reste du liquide brunâtre au fond de la tasse. Je me sentais bouleversée sans arriver à comprendre pour quelle raison je l'étais et pourquoi j'éprouvais pour cet inconnu quelque chose de si étrange.

- Emma, tu m'écoutes ?

Clémence secouait sa main devant mes yeux pour attirer mon attention et j'eus l'impression enfin de reprendre pied dans le présent. Elle me regardait d'un air si inquiet que j'eus un énorme élan de sympathie et de reconnaissance envers elle. Je me devais de lui donner un semblant d'explication.

- Je ne sais pas ce qui m'a pris Clémence, je t'assure. Je... euh. Je ne le connais pas en fait, je ne sais pas qui c'est. Je l'ai juste vu une fois il y a quelques semaines.

Je n'avais parlé avec personne de ma rencontre dans la ruelle. D'une part parce que j'avais toujours eu un doute quant à la véracité de ce qui s'était produit et d'autre part parce que j'aurais été bien incapable d'exprimer par des mots ce que j'avais ressenti à ce moment-là, comme maintenant ! Un drôle d'instinct me dictait également qu'il valait peut-être mieux en dire le moins possible...

Clémence me regardait les yeux grands ouverts, semblant sidérée par ce que je venais de dire ou par ce qu'il venait de se passer.

- Tu l'as "aperçu" une fois ! Et tu fonces le voir de cette manière ?

Elle continuait de m'observer d'un air suspicieux, les sourcils froncés. Je comprenais qu'elle se pose des questions, car elle était loin de me connaitre ainsi. J'étais si posée d'habitude... Je voyais qu'elle essayait par sa remarque de me faire comprendre que ma conduite n'avait eu aucun sens. Mais moi, je savais qu'il se passait quelque chose et que j'avais eu raison de le faire. Je ne connaissais pas encore la nature du lien qui m'unissait à cet inconnu, mais je savais qu'il existait. Je passais encore une fois ma main sur mon poignet comme si ce geste pouvait m'aider à y voir plus clair. Puis, je regardai Clémence qui s'était tue et qui m'observait à présent.

- Ne m'en veux pas. Mais je crois que je vais te laisser. Il faut que je rentre pour... je ne sais pas... réfléchir. Je... On se voit demain ?

- Oui, oui, pas de soucis ma belle ! Tu veux que je te raccompagne ?

Je lui souris, vraiment touchée par sa bienveillance.

- Non, merci ce n'est pas nécessaire, ça va aller.

Je me levai et enfilai mon manteau. Je déposai quelques pièces de monnaie sur la table pour payer ma consommation, puis allai poser un baiser sur la joue de mon amie en lui souhaitant une bonne soirée et je quittai l'établissement rapidement. Je courus presque pour rentrer chez moi tellement je ressentais le besoin d'être seule. J'avais l'impression que l'atmosphère et les bruits de la ville m'agressaient soudain.

En arrivant dans mon immeuble, je ne vis même pas la concierge qui campait dans l'entrée du rez-de-chaussée, espérant comme à son habitude croiser un locataire avec qui discuter. Je ne fis pas non plus attention aux enfants de cette dernière qui jouaient dans les escaliers. Je montai les marches quatre à quatre sans m'arrêter jusqu'à me retrouver chez moi où je m'enfermai à double tour le souffle court.

Je n'ai pas fait grand-chose ce soir-là, incapable de me concentrer sur quoi que ce soit. Je suis restée pendant des heures sur mon canapé en fixant un poste de télévision éteint, repassant sans cesse les évènements qui avaient eu lieu un peu plus tôt dans la soirée. J'ai eu un mal fou à m'endormir ensuite, passant la nuit à me tourner et me retourner dans mon lit.

Les jours suivants n'ont pas été meilleurs et j'ai eu toutes les peines du monde à trouver de l'intérêt à aller en cours. J'avais envie de ne parler à personne et lorsque je me retrouvais dans la rue, je ne pouvais m'empêcher de regarder aux alentours dans l'espoir de le revoir.


Tout a changé ce jour là!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant