Je pleure à chaudes larmes. Je n'arrive pas à comprendre comment j'ai pu laisser ça advenir. Comment ai-je pu croire avec une telle facilité que ça leur été passé ?
Dehors, le vent fouettant mes joues brulantes, je m'active à m'éloigner le plus possible de cette bâtisse aussi douloureuse que malsaine.
C'était là, tout leur but. Me faire venir. Me faire du mal. Et me dégager, comme une vulgaire poupée sans cœur. Ils ont ri à s'en abîmer les cordes vocales, ignorant totalement la personne que je suis et qui se tenait en face d'eux, prête à tout pardonner.
Mais il faut croire que ceux qui ont quelque chose à pardonner, c'est eux. Moi qui suis fautive, du moins à leur sens, je dois seulement être jugée pour ça.
C'est donc chose faite. Devant tout le lycée, ils ont rendu le verdict. Je suis inconditionnellement et irrémédiablement coupable, que je le veuille ou non.
***
Ça fait bien vingt minutes que je suis là, assise sur le banc de cet arrêt de bus, à me demander comment je vais faire pour rentrer chez moi. Maddy ne répond pas à mes appels et cette fois, ça commence un peu à m'inquiéter.
Je me relève quand une voiture se gare à ma hauteur. La vitre se baisse et me laisse découvrir un visage familier.
– Monte.
J'hésite un instant, mais le manque de moyens de transport finit par me convaincre. En gagnant l'habitacle, la chaleur qui s'en dégage réchauffe à peine ma peau, mais certainement pas mon cœur.
– Qu'est-ce que tu veux ? tranché-je après un long silence.
– Je te ramène chez toi.
Je regarde aux alentours, me mordant les joues pour ne pas craquer à nouveau. J'ai eu trop de misère à tarir mes larmes pour échouer maintenant.
En contemplant ma tête dans le rétro extérieur, je me rends compte à quel point ces gens, qui s'efforcent de me détruire, y réussissent sans aucun mal. Mon mascara coule, mon visage semble vidé de tout son sang et mes pommettes sont rouge vif.
– Raconte-moi.
Je me tourne vers Arès, concentré sur la route. Sa mâchoire est contractée, sa figure assombrie.
– Tu étais là, tu as tout vu, craché-je malgré moi.
– Je veux parler de ton père, Noa. Raconte-moi.
Je soupire longuement. Personne ne m'a jamais demandé d'aller jusque-là et pour être franche, ça me convenait comme ça.
Mais quand ses yeux accrochent les miens, je ne peux faire autrement que de prendre une grande inspiration pour commencer ce discours qui, j'en suis certaine, finira de me briser.
Pour une raison qui m'échappe, je déballe tout. Peut-être pour me vider, peut-être pour me justifier, quoiqu'il en soit, je suis honnête et même si les mots me brûlent la gorge, je trouve le courage de les prononcer :
– C'était un père comme tous les autres. Un travail stable, une maison, une famille. Un soir, les flics déboulent et l'accusent du meurtre d'une jeune fille. Il ne nie pas. Ils l'embarquent, l'enquête se poursuit et six corps sont retrouvés à quelques kilomètres du premier. Il est jugé et emprisonné à vie. Fin de l'histoire.
Je déglutis difficilement, comme à chaque fois que mon père est le sujet de conversation. Je ne m'y fais pas. Ça a été si soudain, si imprévisible, si dur, aussi, que je ne n'y arrive pas. Parfois, j'ai même encore du mal à y croire.
– Et toi ?
– Moi ?
Je hausse les sourcils comme si ce qui s'apprêtait à sortir de ma bouche était évident.
– L'Enfer a débuté pour moi le jour où ces filles sont mortes, avoué-je, tremblante.
Sa mâchoire se contracte encore. Je regarde devant moi, des frissons parcourent mon corps malgré le chauffage qui fonctionne. Je déteste cette histoire qui est la mienne et que je n'accepte toujours pas.
Arès se gare devant chez moi, mais laisse tourner le moteur.
– Tu n'es donc coupable de rien... souffle-t-il tout bas.
Son ton sonne aussi bien comme une question que comme une affirmation, bien que je sois sûre qu'il s'agisse plutôt de la deuxième option. Je ne réponds rien et le remercie brièvement avant de quitter la voiture.
Quelques secondes plus tard, il sort de celle-ci en claquant la portière et ne traîne pas à me rejoindre en trottinant.
– Attends.
Lassée et épuisée, je soupire. La soirée a été rude. Évidemment, une partie de moi ressasse les mots pensés par tous et qui ont fini sur mon buste, comme on vendrait une criminelle. Mais la seconde partie de mon être, celle qui se situe plus à gauche de ma poitrine, ne se rappelle que le rapprochement d'Arès et de cette fille, trop brune, trop souriante, et pas assez moi.
– Pourquoi tu n'irais pas rejoindre ta copine, Amélia ? craché-je soudainement, exténuée par toutes ces déceptions.
Mon ton est plein de reproches, plus que ce que je peux contrôler. Je m'en veux instantanément de paraître si touchée, et me mords la lèvre pour me forcer à me taire.
– Ce n'est pas ma copine, répond Arès en se redressant. Mais j'ignorais que je te devais des explications.
Sa phrase pue le sarcasme, sauf que ça ne me fait pas rire du tout. Son rictus me déstabilise, sa franchise me déroute.
– Tu as raison, répliqué-je sèchement. Tu ne me dois rien.
Je chavire une nouvelle fois, mais cette fois, un bras puissant m'oblige à abandonner l'idée d'une fuite en me retournant brusquement.
— Attend Noa, part pas comme ça.
Son visage à quelques centimètres de moi, son parfum s'immisçant partout sur ma peau, ses yeux bleus aussi foncé que le ciel au-dessus de nous m'arrachent le cœur tout entier, mais suffisent néanmoins à changer la donne.
Il se rapproche dangereusement, et je ne trouve pas la force de le repousser. Non, en fait, je n'en trouve même pas l'envie.
Je ferme les paupières lorsqu'il se penche vers moi et le laisse pour la première fois souder ses lèvres aux miennes, me léguant la sensation étrange et merveilleuse de pouvoir enfin respirer à nouveau.
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Présumée Coupable (terminé) [en réecriture]
RomanceNoa est une jeune fille avec un lourd passé. En effet, son père a été condamné à la prison à vie pour le meurtre de sept personnes. Sept vies arrachées et qui ne sont plus que le rappel quotidien de l'enfer dans lequel Noa évolue. Quand elle rencon...