chapitre 19

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P.D.V. de Salif

" Ainsi je n'ai jamais répondu à ton appel Matel.

Toutefois, je vais m'ouvrir à toi, bien qu'il soit trop tard mais il faut que je te parle mieux de moi et de ce que tu représentais pour moi: l'éclair.

L'éclair est une lumière intense qui peut surgir aucours des orages sombres et froides.

Elle jaillit au beau milieu de l'obscurité et éclaire tout.

Mais malheureusement, elle est très brève.

Cette année était telle qu'une orage pour moi, Matel.

Et tu as été l'éclair qu'il me fallait pour y voir plus clair.

T'ai-je une fois parlé de mes parents?

De mon vieux père qui bosse dans un garage, ma mère, marchande de fruits et mes six frères et sœurs?

Non.

Parce que je les cachais.

Lâche, je sais.

A force de traîner avec les riches, j'avais commencé à complexer, à haïr ma vie et à en avoir honte.

Chaque jour, je me disais être malchanceux. Je me demandais ce pourquoi ils avaient toujours tout et moi rien.

Même au bac, j'avais bossé aussi dur qu'eux, tous autant qu'ils sont, mais ils l'avaient décroché sans moi.

Et ça, ça avait créé une profonde tristesse que tu as su combler sans aucun effort.

Parce que tu m'as fais voir un tout autre aspect de la vie.

Tu m'as montré que ce que je considérais moi comme de la malchance était en fait une bénédiction.

Après tout, qu'est ce qui me manquais à moi?

J'étais jeune, j'avais la santé et toute une vie devant moi, chance que toi tu n'avais pas.

Tu étais condamnée, tu le savais, mais tout de même ça ne t'a jamais empêché d'essayer d'avancer.

Au contraire, tu as tout pris sur toi, te fixant des objectifs et faisant tout pour les atteindre.

Et tu m'as inspiré, Matel, telle que cette lumière qui surgit sans qu'on s'y attende aucours de la pluie, telle que l'éclair.

Parce que je me suis dis un jour, pourquoi pas, me fixer des objectifs à moi aussi et tout faire pour y parvenir exactement comme toi.

Moi qui n'était freiné ni par les crises d'un mal chronique, ni par la peur de partir d'un moment à l'autre, ni par la prise de conscience d'une telle malédiction.

Oui, comme toi, je devais me fixer des objectifs.

Et les miens, le mien, était de réussir.

Oui, réussir parce qu'après tout, j'étais fils aîné et je n'avais même plus la force de reprendre le chemin de l'école à la recherche du même diplôme.

Te rappelles-tu de ce jour où tu m'as demandé ce pourquoi je passais le plus clair de mon temps a l'appartement de Babacar au lieu de rentrer chez moi?

C'est parce que j'en avais marre du regard méprisant de mon père sur mes cahiers simplement car il a perdu toute confiance en mes études après mon premier échec.

J'en avais marre du regard empli d'empathie de ma mère parce qu'elle trouvait trop petit l'argent de poche qu'elle me donnait, consciente de ne pas avoir les moyens de l'augmenter.

J'en avais marre du regard déçu de mes petits frères et sœurs qui me prenaient pour leur idole et qui ont perdu l'estime qu'ils avaient de moi à force d'entendre mon géniteur me rappeler que je n'avais pas mon bac, que j'étais une déception, un incapable...

J'en avais marre des regards emplis de jugements auxquels je faisais face à chaque fois qu'on me voyait dans le quartier.

Voilà Matel pourquoi le bac était si important à mes yeux et que j'avais tout donné pour l'obtenir.

Toutefois, comme toi, mon objectif était de réussir donc il n'était pas mon unique alternative.

Te rappelles-tu de ce jour où je t'ai parlé de t'épouser? Je suis sûr que tu t'en rappelles.

Par contre, je ne sais pas si tu te souviens de ce que je t'ai dis à propos de ma moto ce jour là.

Cette moto que les parents de Babacar m'avaient offert à mon dernier anniversaire et qui était mon principal bien.

Je l'avais mis en vente et l'argent dont je t'ai parlé ce jour la pour être ta dote était en fait ma seconde alternative....

Partir.

Quitter ce pays, pour un monde meilleur.

Je ne pouvais pas rater à nouveau le bac et faire face au regard de mes parents, Matel.

Je devais partir.

Et comme mes moyens s'étaient limités aux pirogues, je me suis dis pourquoi pas.

Parce qu'après tout, je ne pouvais rejoindre qu'un monde meilleur.

J'allais soit rejoindre les côtes de l'Europe, soit te devancer à l'haut de là ce qui me rassurait d'une part.

Parce que d'un coup, je n'avais plus peur de partir du moment où toi, cette peur ne t'a jamais freiné.

J'avais pensé à t'écrire un mot d'Adieu sachant qu'il y avait très peu de chance qu'on se revoit.

Parce que ta maladie gagnait du terrain ce qui s'était indéniablement rajouté à mes motifs d'avancer sans me soucier de ce que j'allais laisser derrière.

Parce que je n'avais également plus la force de te regarder mourir si lentement.

En l'espace d'un mois, tes crises étaient devenus plus fréquents et plus violents.

Tu ne le disais pas, mais ton corps me nargait chaque jour en me chantant les A dieu que ta bouche ne pouvait prononcer.

Et mon cœur se serrait à chaque instant que mon esprit essayait d'imaginer un monde sans toi.

Un monde qui évidemment serait redevenu plus froid, plus gris, plus sombre avec moins de couleur.

La même impression ressenti après l'éclair que tu représentais.

Toi, la fille qui m'a redonné le sourire mais également la force de voir la réalité en face.

Toi la fille qui a rendu cette année colorée et rythmé, tout le contraire de ce qu'elle annonçait pour moi.

Qu'importe là où j'aurai atterri; je ne t'aurai jamais oublié.

Je n'aurai jamais oublié nos balades animés en ville, nos disputes sur les films à regarder, nos fous rires, nos délires, encore moins notre mariage car oui, la soirée culturelle était notre mariage et j'ai même rapporté la photo avec moi.

Je n'aurai jamais oublié ton beau visage au teint unique, tes yeux cernés par la fatigue que tu cachais derrière ton magnifique sourire.

Je n'aurai jamais oublié ta force, ton courage, ta détermination qui t'a fait atteindre tes objectifs.

Je n'aurai jamais oublié notre amour qu'on n'a jamais eu l'occasion d'exprimer et qui sait, peut-être que dans un autre monde où cette satanée maladie n'aurait pas existé, on l'aurait vécu cet amour. On aurait réalisé ton rêve de nous marier et vivre heureux avec nos six enfants à trente trois ans, mdr...

Je ne t'oublierai jamais Matel.

Toi la fille qui a été comme ma lumière au milieu de l'obscurité.

Cette lumière intense et briève survenant au beau milieu de l'orage.

Tu as été comme l'éclair."

Comme L'éclairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant