Parole rumori - Fabrizio Moro
C'est aujourd'hui que les cours commencent et je sens la gêne d'une petite boule qui s'est logée au niveau de mon estomac. Un mélange d'excitation d'une rentrée à l'italienne et d'angoisse d'affronter un quotidien que je ne connais pas. Seule. Sans Lâche.
J'ai étudié le trajet plusieurs fois : je dois prendre le tram n°19, direction Gerani, jusqu'à l'arrêt Galleria Arte Moderna. Je valide mon ticket et vais m'installer sur un des sièges en bois lustré. Un soubresaut et le tramway démarre dans un grincement perçant. Il est dans son jus, comme on dit.
À son rythme, rail après rail, il ondule entre les voitures et les scooters, ignorant les klaxons. Dans l'espoir de masquer le bourdonnement ambiant et les conversations agitées, je sors mes écouteurs et lance la musique de mon téléphone. Shape of you - Ed Sheeran, pas mal, je me laisse entraîner.
Je me place en tant que spectatrice de la ville. Je suis impressionnée par la nature : elle est partout. Des pins et des orangers bordent les voies. Chaque trottoir est envahi d'herbes folles, on pourrait croire à un laisser-aller, mais j'y trouve une certaine harmonie. Les balcons sont fleuris, chaque mètre carré qui n'est pas construit est investi par de la verdure et il est impossible de compter le nombre de parcs et de jardins. C'est une façon de cohabiter avec l'environnement que nous n'avons pas l'habitude de voir dans une capitale européenne.
Après avoir parcouru le quartier de Prati, nous traversons le Tevere, pour rejoindre la très longue via Flaminia. Je m'entraîne à répéter ce qui est écrit sur les panneaux dans ma tête. Vietato l'accesso, uscita, salita*...
J'appuie sur le bouton d'arrêt à côté de la porte en apercevant la station. Il faut déjà descendre. Comme promis, Victor est là, mon sauveur. Il m'attend, mains dans les poches, sur les marches de l'immense escalier du musée d'art contemporain. L'université se trouve derrière.
Victor est un de mes meilleurs amis. Je le connais depuis la première année aux Beaux-Arts et nous avons été plus qu'heureux de décrocher le Graal ensemble : étudier un an à Rome.
La dernière fois que je l'ai vu, nous étions dans le bureau de la responsable Erasmus, afin de comprendre un peu mieux le fonctionnement de l'université. Après des explications assez chaotiques, la responsable nous a expliqué que pendant un mois, il est possible d'essayer plusieurs cours. Le tout est de bien compter le nombre de crédits que l'examen final rapportera. Nous avons besoin de 60 crédits pour valider l'année et nous nous sommes rapidement aperçus que cela équivalait à très peu d'heures de cours.
Nous avons donc décidé d'organiser notre programme ensemble et selon deux critères : notre intérêt pour le sujet, bien entendu, mais aussi et surtout, les horaires.
Ainsi, nous commençons dès aujourd'hui avec une leçon sur les Techniques et représentations dans l'art antique. Nous enchainerons demain matin par un cours abordant la Peinture et Sculpture de la Renaissance, puis sur les Techniques de restauration mercredi et enfin, Histoire, théorie et critique de l'architecture. L'enthousiasme est à son comble, l'année allait être incroyablement enrichissante tout en nous laissant le temps de profiter de la ville.
J'embrasse Victor et ne manque pas de l'épingler :
— Tu aurais pu faire l'effort de prendre un carnet et un stylo, quand même !
— Tout est là-dedans, chérie.
Il pointe son crâne et me fait un clin d'œil, avant de renchérir :
— Et puis, je t'ai toi. À quoi bon me faire chier à prendre des notes ?
Je ris en secouant la tête. J'adore ce mec. Même si souvent, il me prend pour son assistante ou sa secrétaire, il me le rend bien. Je l'aime d'autant plus que depuis notre arrivée à Rome, il évite toujours le sujet Lâche.
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Ça ira mieux à Rome
General Fiction✨ GAGNANTE DU PRIX WATTYS 2023 ✨ Chiara n'est plus que l'ombre d'elle-même lorsqu'elle débute son année d'étude à Rome. Son petit ami, surnommé Lâche, l'a laissé tomber sans aucun scrupule. À bout de souffle, elle va néanmoins s'accrocher et surmon...