Chapitre 9

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Malorie


Kim Hyun avait quitté Paris depuis longtemps, j'en étais sûre. Dès la publication des thèses, on m'avait détachée pour surveiller le directeur et ses communications. Cela faisait quelques semaines, depuis leur fête au laboratoire, bizarrement qu'il ne se réunissait plus avec son équipe, il ne les appelait même pas.
J'imaginais qu'ils croyaient encore avoir une chance de convaincre le gouvernement avec leurs idées à la con. Quelle bande de naïfs...


Les journées étaient les mêmes. Il n'entrait et ne sortait que pour aller faire ses courses, prendre un café Place Vendôme ou se promener au Jardin des Tuileries. Il était facile à suivre. Un grand asiatique aux longs cheveux noirs et gris. Pas du tout le genre de population exotique qui restait à Paris. Il devait être blindé, avec son respirateur tout neuf et son appartement dans le centre de Paris. Je l'enviais. Moi, j'avais juste un respirateur d'occasion, acheté au marché noir. J'avais dû vendre ma moto pour l'avoir. Sans ça, je n'aurais jamais pu obtenir mon poste dans le détachement du Premier Ministre. Il me fallait un job et un job dans Paris. J'avais perdu mon travail de policière, il y a cinq ans, quand notre service avait été remplacé par des IA. Seul le commissaire restait en fonction, pour les chapeauter.


« Tu comprends Malorie, ça coûte trop cher à la mairie de Paris de devoir loger tous ses flics et de leur offrir un respirateur. Tu devrais déménager dans le Sud, les choses sont plus tranquilles là-bas ».

 
Tu parles, il profitait encore du système celui-là ! C'était facile de me dire de quitter Paris. Moi, je ne pouvais pas ! J'avais Ali mon frère, mon petit chéri. Depuis la mort de mes parents dans les crues du Nord, nous étions tout l'un pour l'autre. Il était soigné dans l'un des meilleurs hôpitaux de la France. Obligé, avec sa maladie rare. À la fin des quatre grandes crises, quand le pays s'était polarisé, l'hôpital public et ses laboratoires de recherche avaient disparu. Je ne pouvais pas transférer Ali dans le Sud comme le suggérait le commissaire, le moindre déplacement l'aurait tué. J'avais besoin que la France redevienne unie et que les fonds de recherche soient débloqués de nouveau pour soigner mon frère. Au lieu de faire ça, ils rémunéraient des charlatans comme le professeur Hyun et son équipe.


Alors que le reste du détachement travaillait avec Monsieur Fernille sur les opérations de janvier, moi je suivais un hurluberlu inutile. Les généraux avaient déployé des agents en planque dans un fourgon placé à l'entrée du quartier. Ils se relayaient régulièrement et passaient surtout leurs journées à dormir. On m'avait loué une chambre de bonne de l'immeuble d'en face car je devais être l'ombre du professeur. J'avais l'impression de perdre mon temps et je détestais la procrastination.
Pour m'occuper je me mis à chercher des informations sur lui. Au début je ne trouvais rien, juste ses thèses et ouvrages, un ramassis de conneries utopistes. Pas de réseaux sociaux, pas d'histoires, pas de famille. Ah si, un article Wikipedia qui parlait de sa mère, Agnès de Montserrat, elle avait vécu et était morte dans son appartement à Grenoble. Elle était atteinte de la même maladie qu'Ali. J'imaginais qu'elle l'avait contractée à un âge avancé, sinon impossible de vivre sans les équipements hospitaliers et une chambre stérile. On racontait que l'air à Grenoble était pur, ça devait aider.
Ça et l'argent...


Je compilais toutes les informations que je trouvais, jusqu'aux moindres détails insignifiants. J'essayais de décoder sa personnalité et d'où lui venaient ses idées bizarres. J'avais la rage. Plus je lisais, plus ça m'énervait. J'avais envie de traverser la rue et de lui crier à sa face que ses idées étaient irréalistes. Je préférais mille fois qu'on soit tous égaux et qu'on stérilise la culture française. Impossible d'accepter naïvement que tout un chacun pouvait accepter les différences des autres. Les Hommes sont des animaux égocentriques qui ont besoin de règles strictes pour bien se comporter. L'Histoire et ses guerres successives le prouvaient. Il devait arrêter de faire rêver les gens et je devais arrêter d'avoir envie d'y croire. Mon objectif, c'était de sauver Ali et pour ça je devais garder mon poste, ne pas passer du côté des faibles. Ceux qui se feront broyer par le système dans quelques mois.
Plus les jours passaient, plus j'espérais que le quartier général m'enverrait en mission de terrain. Mon corps se languissait du manque d'action. Au bout de quelque jours de recherche, je laissais tomber et me mis à faire du sport jusqu'à épuisement pour vider mon esprit.
Un soir, alors que je rentrai à ma planque après une visite à mon frère, l'alarme de communication s'activa. Après trois semaines passées à ne rien faire, il se connectait pour la première fois à internet. Il avait bien choisi son jour lui ! Enfin l'adrénaline que j'attendais, j'avais dix minutes pour rentrer, couper son internet et bloquer son ordinateur. Ensuite, je devrais appeler les renforts, j'avais ordre de ne pas intervenir moi-même.
Quand ils arrivèrent, il n'était plus dans son appartement, était-ce une fausse alerte ? Avait-il quitté son logement par les toits ? Deux des agents montèrent vérifier, personne.

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