Chapitre 10

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Kim


Une douleur violente me ramena à moi. La chaleur des premiers rayons de soleil me réveilla. J'avais sombré presque un jour et une nuit. J'avais eu de la chance de ne pas être mort de froid pendant la nuit. La chaleur produite par l'explosion devait y être pour quelque chose. Je n'arrivais pas à bouger le bas de mon corps. J'avais la gorge desséchée. J'étais affamé. J'entrouvrais les yeux. Le visage couvert de poussière et de cendre. Je commençais par m'épousseter avant de regarder d'où venait la douleur. Ma jambe gauche était dans une sale état et me faisait terriblement mal. Le morceau de tôle qui m'avait embouti avait fini sa course un peu plus bas dans la forêt. Je me trouvais dans une petite zone enherbée tout au fond du ravin entouré de débris. Je regardai dans ma poche, mon portable était toujours là, mais plus de batterie. J'entendais un ruisseau couler. Ouf, il y avec de l'eau à proximité, j'était sûr de survivre. Il fallait aussi que je me mette à couvert le plus loin possible du lieu de l'accident. Il y avait peut-être d'autres agents dans les parages. Le gouvernement n'aurait jamais envoyé quelqu'un en solo. Ils auraient vite fait de me trouver en quelques minutes. Je ne pouvais pas mettre en péril mes compagnons et la construction de la citadelle. 

Je rampais dans la lisière de la forêt jusqu'au ruisseau. Là, je me nettoyais le visage, les bras et le torse avant de boire abondamment. J'étais chanceux, car à cette époque de l'année, la plupart des cours d'eau étaient complètement asséchés. Une fois parfaitement désaltéré, je regardais un peu l'état de ma jambe abîmée. Heureusement pour moi, je n'avais pas peur de regarder des blessures. Avec sang-froid je descendis précautionneusement mon pantalon pour estimer l'étendue des dégâts. Ma hanche était douloureuse et bleuie, mon genou avait l'air de fonctionner correctement, mais impossible de le bouger sans avoir mal plus bas. Mon tibia et mon pied avaient reçu le gros du choc. Entre les fractures et les brûlures, impossible d'enlever mon pantalon à cet endroit, j'aurais arraché la peau. Concernant le reste de mon corps, j'avais des bleus et des petites blessures un peu partout et mal de chien aux côtes. 

Je devrais pouvoir survivre quelques jours. J'avais campé tous les étés de mon enfance dans les forêts avoisinantes. Je fabriquais d'abord une attelle avec des bouts d'écorces et des débris. Puis je trouvais une grande branche pour me servir de bâton de marche. Dans mon cas, la meilleure chose à faire était de se rapprocher le plus possible du village. Je décidai de m'enfoncer dans les bois rapidement car en fin de matinée le soleil frapperait fort. Je ne pouvais pas me permettre une insolation. De mémoire, le ruisseau me conduirait vers le village. J'avais juste à tendre l'oreille pour le suivre tout en restant à couvert. Une fois au village je me débrouillerais pour trouver un téléphone et appeler l'équipe.

J'avais mal, la journée allait être longue. J'essayais de marcher sans poser mon pied gauche au sol ce qui était parfois impossible. Je devais faire des pauses fréquemment pour reprendre mon souffle. Sur ma route, je trouvais des baies comestibles. Je les cueillis et les plaçai dans une grande feuille de marronnier pour les laver au ruisseau. Ce moment me rappelait les promenades avec mon grand-père. Je levai la tête, le soleil était haut. Il devait être treize ou quatorze heures. Je mangeai mes baies, bu un grand coup avant de continuer.
Je pensais à Hélène, j'en avais les larmes aux yeux, c'était une amie précieuse, avec qui j'avais partagé de nombreux moments importants de ma vie. J'avais la rage. Je me fis la promesse de trouver un moyen de contacter ses employés une fois que je serais sorti de ce pétrin.

Le temps s'écoulait d'une manière étrange, j'avais l'impression de vivre au ralenti. Je pouvais entendre les battements de mon cœur dans mes oreilles. J'étais épuisé. Quand le soleil commença à se coucher j'étais encore loin du village, je devais réfléchir à un endroit pour passer la nuit. Le vent du soir se leva, j'avais froid, je devais dormir. Ma grand-mère m'avait appris comment faire un feu, sans carboniser la forêt. À l'époque je m'étais moqué en lui disant qu'avec papi, on avait des flammes automatiques qu'on emmenait pour camper, pourquoi apprendre une technique archaïque et dangereuse ? Aujourd'hui, je la remerciais du fond du cœur. Je trouvais deux grands rochers calcaires recouverts de mousses et de lichens contre lesquels je pourrais m'adosser. Devant, je mis à nu la terre et formai un cercle avec des cailloux. Je trouvai rapidement de quoi faire un feu. Je me mis à frotter une branche contre un morceau d'écorce. Le feu pris juste à temps, un peu avant que la nuit ne tombe. Je me posai enfin prenant soin de bien placer ma jambe abîmée. Je contemplais les flammes, quelle ironie de survire avec les outils de la nature à l'air de la physique quantique et de l'intelligence artificielle. Les baies de midi étaient loin, mais la fatigue l'emporta sur mon ventre creux...

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