22. Virtual World

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Une fois autorisé à retourner travailler, Kahu s'émerveilla de constater qu'aucun de ses collègues ne devinait réellement ce qui se dessinait entre Malaki et lui. Oh évidemment il y avait les plaisanteries gouailleuses de Caden et celles un peu plus légères de Mele, mais ils lui faisaient le coup à chaque fois qu'il s'intéressait un peu à un homme, donc ce n'était rien de vraiment fondé. Martha avait peut-être remarqué quelque chose, parce qu'elle était bien plus observatrice, mais elle n'avait fait aucune allusion au sujet. De toute façon elle s'était elle-aussi prise d'affection pour Malaki qu'elle embarquait régulièrement avec elle pour prodiguer des soins à leurs pensionnaires, mais elle respectait sa vie privée. Quant à Davy, il s'était simplement contenté d'une remarque amusée sur le fait que le calme de Malaki avait une bonne influence sur son caractère agité.

Cela donnait à Kahu l'impression un peu absurde que l'intimité grandissante entre Malaki et lui était une sorte de trésor, précieux et rien qu'à eux. Il se sentait plus possessif qu'avec sa dernière relation, mais ce dernier n'avait été qu'un homme charmant semblable à tous les hommes charmants que Kahu ne regrettait pas vraiment. Il n'avait pas eu le caractère calme et solide de Malaki et s'était surtout laissé porter jusqu'à leur séparation. Cela ne faisait que donner davantage envie à Kahu de sortir avec quelqu'un sur qui il pourrait se reposer de temps en temps, exactement comme ça avait été le cas avec Malaki deux jours plus tôt. Et il ne voulait vraiment, vraiment pas penser à ce qui arriverait le jour où son adorable pensionnaire serait suffisamment guéri pour rentrer chez lui. Mieux valait profiter à fond de ce qu'ils partageaient tant qu'ils en avaient la possibilité, avant de devoir se séparer.

— Je viens d'avoir OtherWorld au téléphone, annonça Caden en arrivant dans leur salle de pause. Ils apportent les premiers casques cet après-midi, on va enfin pouvoir tester en vrai !

Sans la moindre délicatesse, il se laissa tomber sur un siège libre entre Mele et Noah, juste en face de Malaki. Ils étaient en train de finir leur déjeuner avant d'aller s'occuper des requins, mais l'arrivée de Caden semblait augurer d'un changement de programme.

— Ce sont des casques de quoi ? interrogea Malaki.

Depuis qu'il était au parc, il avait pris l'habitude de poser ses questions sans hésitation et sans honte, ce que Kahu trouvait très courageux. Parce que lui, lorsqu'il était venu les premières fois dans le monde de la surface, il n'avait pas osé interroger les humains et avait mis beaucoup de temps à comprendre les choses les plus simples. Mais Malaki n'avait pas peur de se montrer ignorant, parce qu'il savait que les autres avaient conscience de sa méconnaissance de la terre ferme. Et il s'adaptait si bien, apprenait si vite, que ses lacunes s'estompaient rapidement jusqu'à parfois donner l'impression qu'il vivait à la surface depuis bien plus longtemps qu'une grosse semaine. Kahu l'admirait beaucoup et l'enviait un peu, épaté de le voir surmonter son appréhension à chaque fois.

— Des casques de réalité virtuelle, lui expliqua Mele. Tu mets ça sur ton visage et ça te donne l'impression d'être dans un endroit différent. Tu verras tout à l'heure, on te fera essayer, je suis certaine que ça va te plaire. Kahu et Caden ont travaillé d'arrache-pied pour reconstituer des décors du parc et permettre aux visiteurs d'approcher les pensionnaires au plus près sans risquer de les effrayer.

— On a pensé l'expérience comme un instant dans la peau d'une sirène, précisa Kahu avec fierté. J'ai tourné la plupart des images pour la numérisation en emportant une caméra fixée à mon visage.

Ça n'avait pas été très confortable, mais c'était pour une bonne cause. Et après des semaines de travail et de développement, ils allaient enfin avoir le premier aperçu du parcours créé par le studio OtherWorld. La présence de Malaki rendait l'occasion d'autant plus attrayante, parce que Kahu était curieux d'avoir son avis sur le parcours "sirène" et son réalisme. Ils ne seraient pas trop de deux pour régler les derniers détails, d'ailleurs, parce que Malaki aurait probablement un point de vue différent du sien, qui ne pourrait que le compléter. D'autant que Kahu aimait vraiment sa manière de réfléchir, qui contrastait tellement avec sa propre impulsivité. Malaki n'agissait jamais sur un coup de tête, prenait toujours le temps de peser ses actions avant de les réaliser, et s'entendait d'autant mieux avec Martha qui fonctionnait un peu de la même manière. Il avait souvent une vue d'ensemble de la situation et proposait plusieurs solutions à un même problème pour contourner les obstacles majeurs. C'étaient les principales qualités d'une pieuvre, mais aussi d'un chasseur d'épaves, et c'était pour cela qu'ils travaillaient si bien ensemble.

— Je suis curieux de découvrir ça, avoua avoua justement ce dernier avec l'un de ses sourires si doux. Mais d'abord il faut que l'on s'occupe des requins, n'est-ce pas ?

Son sens des priorités était aussi touchant que sa curiosité, et ne fit qu'augmenter le regret qu'avait Kahu de le voir partir bientôt, parce qu'il aurait fait un excellent membre de leurs équipes. Depuis qu'il était en état de se déplacer, il avait donné un coup de main presque dans chaque service, et toutes les personnes qui l'avaient côtoyé s'étaient montrées élogieuses à son sujet. En discutant avec ses collègues, Kahu n'avait entendu que des compliments et on lui avait assuré que c'était un véritable plaisir de travailler avec Malaki parce qu'il était curieux de tout, très intelligent, qu'il posait des questions chaque fois qu'il en avait besoin et qu'il s'adaptait remarquablement vite à toutes les situations. Et il était aussi avide de bien faire, d'une patience à toute épreuve, d'une grande douceur, charmant avec tout le monde, souriant, poli, adorable... La liste continuait, encore et encore, et Kahu n'était pas vraiment surpris de voir qu'il n'était pas le seul à sombrer un peu pour Malaki. Quelque part, c'était réconfortant de savoir qu'il ne serait pas le seul à qui il manquerait une fois qu'il serait parti.

Mais le plus triste, au fond, c'était de savoir qu'il ne resterait pas à Odysseis et qu'il emporterait un peu de leurs cœurs quand il s'en irait, et une grosse partie de celui de Kahu par-dessus le marché...

Odysseis (1&2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant