9. Jour J

106 11 0
                                    

   

Un bon mois s'écoula finalement sans qu'aucun autre évènement survienne dans mon quotidien, ma routine s'était réinstallée et mon humeur était revenue plus ou moins à la normale. Une nouvelle semaine débutait tout juste et le jour du départ pour Londres était enfin arrivé. Pour une fois, je me disais que cela ne me ferait pas de mal de changer d'air et de rompre avec ma vie de tous les jours, j'en ressentais même un certain besoin.

Tous les étudiants inscrits pour cette virée ainsi que la prof en charge du voyage, Madame Lemarchand, étaient réunis à l'aéroport devant la porte d'embarquement. Les enregistrements avaient été effectués et nos bagages embarqués, il n'y avait plus dès lors qu'à patienter.

Sur place, tout avait été organisé pour nous accueillir, un bus devait nous attendre pour nous conduire jusqu'à notre hôtel.

Nous n'étions finalement qu'une douzaine à partir. En cet instant, je me disais que ce n'était pas plus mal alors que mon regard s'attardait sur mes camarades. Je préférais bien entendu me retrouver en comité restreint. Je me sentais réellement excitée d'aller à la découverte de Londres, car j'avais toujours entendu du bien de cette ville.

Mon père et moi avions voyagé régulièrement depuis le décès de ma mère. Au début, cela avait été comme un besoin vital de nous éloigner du quotidien triste dans lequel nous vivions tous les deux. Ensuite au fil des années, c'était devenu une sorte de tradition, que nous n'avions jamais manqué de respecter. Nous allions jusqu'à faire des réunions pendant plusieurs semaines pour déterminer nos différentes destinations, chacun venant avec ses propres arguments. Mon père gagnait confortablement sa vie et cela n'avait donc jamais été un problème d'aller où bon nous semblait.

Nous nous trouvions tous sagement installés sur les sièges inconfortables de l'aéroport, attendant que les minutes passent. Quelques-uns profitaient même de faire une sieste à mon grand étonnement vu le peu de confort qu'offrait la situation. D'autres, plus loin, rigolaient de bon cœur en se racontant des anecdotes dont je percevais quelques bribes. Clémence était assise à mes côtés, totalement absorbée par un magazine people qu'elle n'avait pas manqué d'acheter en arrivant. Cela lui ressemblait tellement, que je ne pus m'empêcher de sourire en l'observant du coin de l'œil. Quant à moi, j'essayais tant bien que mal de me concentrer sur le livre que j'avais apporté. Mais malgré toute ma bonne volonté, j'étais totalement incapable de garder plus de quelques minutes d'attention sur l'ouvrage. Mon regard était inexorablement attiré par le va-et-vient incessant qui se déroulait devant mes yeux. Tous ces gens agglutinés, en attente d'un départ, faisaient un bruit sourd qui me tapait sur le système !

Des enfants criaient çà et là sans que leurs parents daignent chercher à les calmer, trouvant apparemment cela normal. Sans compter les annonces vocales en plusieurs langues qui revenaient toutes les trois minutes... Je n'aimais pas les lieux où il y avait autant de monde et encore moins les aéroports où l'on passait des heures à attendre.

Une demi-heure s'écoula encore et je n'en pouvais décidément plus de poireauter, je trépignais sur mon siège. En plus, je me sentais un peu vaseuse depuis ce matin et cet endroit ne faisait qu'empirer mon impression de mal-être.

Quelques heures avant mon départ, j'étais passée embrasser mon père avant qu'il ne parte lui-même au travail. Il m'avait semblé plus heureux que d'habitude ces derniers temps, je m'étais même demandé si c'était ses cours qui lui faisaient du bien. Malgré mon âge, je n'étais encore jamais partie sans lui en voyage et j'avais eu comme un pincement au cœur au moment de le quitter. Il n'avait pas manqué de me rassurer pourtant.

- Ne t'en fais pas pour moi ma chérie, tout se passera bien !

Après quoi, il n'avait évidemment pas oublié de me donner des tas de conseils :

- Ne traîne pas toute seule dans les rues de la ville, on ne sait jamais ! Et profite bien de ton séjour. Tu m'appelles de temps en temps pour me donner des nouvelles d'accord ?

- Bien sûr, papa, on se revoit vite.

Nous nous étions embrassés et je m'étais dépêchée d'aller prendre le métro quelques rues plus loin et de rejoindre l'aéroport, en charriant ma valise derrière moi.

Je n'avais pas réussi à avancer un seul mot de mon livre et je finis par le refermer, dépitée, et le ranger dans mon sac. Je m'affaissai ensuite sur mon siège et regardais sans vraiment les voir mes camarades de classe. Mis à part avec Clémence, je n'avais noué que peu de relations, je n'avais jamais ressenti le besoin d'aller avec eux au-delà des conversations banales au sujet des cours, je n'avais jamais eu envie de savoir qui ils étaient en dehors de l'université. Ils devaient probablement avoir une drôle d'image de moi, mais cela m'importait peu.

Invariablement quand je m'ennuyais mon esprit revenait malgré moi sur ma rencontre devant le café. Elle avait eu lieu il y a un mois maintenant, mais cela me semblait faire une éternité. J'avais un peu de mal à saisir le sens de ce qu'il m'avait dit puisque nous ne nous étions plus revus. Durant ces dernières semaines, j'avais pourtant eu la nette impression, et ceci à plusieurs reprises que j'avais été suivie et observée. Je n'ai jamais pu identifier la personne qui en était à l'origine et je ne pouvais donc pas l'affirmer, mais j'avais l'intime conviction que c'était lui. En tous les cas, si tel avait été le cas, il s'était fait plus discret sans que je comprenne pourquoi il agissait de la sorte. Il suffisait que j'y repense pour ressentir à nouveau le même trouble et cela m'agaçait ! Je ne dormais vraiment pas bien ces derniers temps et je me sentais d'ailleurs assez fatiguée, peut-être que cela avait un lien avec tout ça.

Bizarrement, j'avais éprouvé une sorte de malaise à quitter le pays en le laisser derrière moi. Sensation inexplicable...

- On se met dans la même chambre à l'hôtel, ma belle ?

Clémence me sortit soudain de mes réflexions et je reportai mon attention sur elle, heureuse d'échapper à mes pensées troublantes. Je constatai qu'elle avait terminé son magazine, car ce dernier était négligemment posé sur le siège vide se trouvant près d'elle.

- Bien sûr ! lui dis-je en souriant.

Nous n'avions toutes les deux, jamais reparlé de l'incident et de mon comportement irréfléchi de ce fameux jour. Pour une fois, Clémence avait fait preuve de discrétion et je l'en appréciais que plus! Elle avait pourtant dû remarquer à quel point je m'étais comportée de manière étrange et à quel point j'avais été encore plus renfermée que d'habitude.


Tout a changé ce jour là!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant