L'ANTI-HÔTE [Partie 1]

12. Sauvetage (2)

- Je m'en charge, prononça alors gravement le capitaine en retroussant les manches de sa chemise.

Il parlait de Torielle. Celle ci ôta complètement la veste beige qui recouvrait son chemisier et la lança derrière elle. L'homme qu'elle venait à peine de mettre à terre ne bougeait plus. Le regard flamboyant, elle serra les poings, prête à affronter son nouvel adversaire à la carrure dix fois supérieure à la sienne.

Les larmes me piquaient les yeux et ma gorge était tellement nouée que j'en avais du mal à respirer. Et Bellamy qui gisait à terre sans signe de vie. J'avais envie de lâcher prise...

La douleur s'accentua sur mon poignet. Je gigotai faiblement tandis que mon bourreau me tirait plus loin sur le pont, hors de la bataille. Je n'avais même plus la force de résister. Il voulait m'emmener vers la cabine de pilotage.

J'en avais presque oublié l'existence de Lara. Depuis qu'elle m'avait trahie, je ne ressentais plus rien. Il n'y avait plus que ce vide avec lequel j'avais toujours vécu. Pourtant, elle était bien là.

- Ne t'inquiète pas, me souffla-t-elle alors.

Un bouffée de chaleur m'envahit alors. Je n'étais pas seule.

- Je te préviens, je vais reprendre le contrôle, sussura mon hôte de manière rassurante. On va apprendre à ce type qu'on ne peut pas s'attaquer à nous de cette manière.

Je fus alors projetée violemment en arrière. Enfin ce n'était qu'une impression. J'étais de nouveau dans ma propre tête, dont le schéma s'apparentait à un néant total. Lara était devant moi, une main tendue vers l'image qui se profilait face à nous. Elle se tourna alors brièvement vers mon corps avachit et sourit.

- Je t'en fais pas, je te rendrai ton corps après avoir réglé son compte à ce type.

Des larmes perlaient au coin de ses yeux ambrés.

Leur éclat jaune illumina alors l'atmosphère. Elle se tourna vers l'image flottante qui reflétait la réalité, tel un film qui défilait face à mes yeux ébahis. Je vis alors mon corps se déplacer de nouveau face à la seule force de la volonté de mon hôte.

- Laisse mon pilier tranquille connard !

Lara avait parlé à travers mon corps. On voyait que ce n'était pas moi, je ne disais jamais de grossièretés pareilles. Et pourtant, elle avait utilisé le pronom "nous", elle me défendait, non pas dans un intérêt personnel, mais dans une forme de pardon. Elle m'avait appelé son "pilier", ce qui signifiait qu'elle me reconnaissait en tant que tel. J'en étais émue.

Je vis alors mon propre poing se lever à la hauteur de la "caméra" qui correspondait à l'image de mes yeux. Il s'abattit avec violence dans le nez de monsieur lunettes noires dont la tête fut projetée en arrière.

- Espèce de sale...

Lara ne lui laissa pas le temps de finir. Elle tourna mon bras de sorte que l'homme fusse obligé de me lâcher le poignet. Une fois libre, elle utilisa mon pied pour lui envoyer un violent coup dans les côtes. Je n'aurais jamais cru mon corps capable de telles prouesses physiques.

Bien à l'abri dans cet espace sans dimension, je me sentais protégée, comme un enfant roulé en boule dans le ventre de sa mère. Et pourtant, je le savais, c'était bien mon corps qui risquait sa vie en ce moment dans une réalité que j'avais quittée.

Lara était immobile face à moi, focalisée sur les moindres faits et gestes qu'elle devait contrôler à la perfection. A un moment donné, elle poussa un cri et ses genoux heurtèrent le sol invisible. La douleur se répercuta en moi également. Même à l'extérieur de mon corps, je pus sentir la souffrance que provoquait un coup de coude dans l'estomac. Tout comme Lara, je tentais de reprendre mon souffle, mon ventre me lançant des spasmes atroces de douleur. Elle se répercuta dans mes jambes et mes tempes. Je ne tenais plus debout. Lara de son côté s'était relevée. La respiration bruyante, elle poussa un cri vengeur et envoya le côté de ma main droite dans la gorge de mon agresseur. Il manqua de s'étrangler et ses lunettes noires se brisèrent à leur tour en tombant sur le pont. Appuyé sur la rambarde, l'homme reprenait ses esprits.