Terreur Lunaire - Livre 1 - Vers le Cœur Arkhale

XXIV - Irréalité - Partie 1

06 février 1875 — Callisto

Tombant à genoux, Assad appréciait l'étendue du spectacle que lui offrait la dernière arcane. L'ultime sortilège avait détruit le vaisseau. Ses débris tombèrent dans l'océan, destinés à rejoindre les ténèbres des bas-fonds. Des abysses aussi obscurs que son cœur.

Est-elle morte ?

Le Rubis Rouge coulait, Lunera sûrement avec. Le roi ne parvenait tout de même pas à se délester d'une désagréable sensation. Lunera avait feint la mort une fois, pourquoi pas deux ? Quand bien même, savait-elle nager ? Il n'y avait aucune plage à Callisto, seulement des parois rocheuses et abruptes, difficiles à escalader.

Chassant ses pensées, Assad tourna sa tête vers la butte pierreuse qui marquait l'entrée des sous-sols callistois. Maintenant, il convenait de s'intéresser à des problèmes plus importants ; une autre femme vint occuper son esprit.

La perte de Zahya revint le frapper comme un coup de poing. Le père lui avait arraché ses parents, et la fille, sa femme. Assad se laissa aller et colla son front par terre, comme une prosternation. Il sentait une oppression terrible lui enserrer le thorax. Sa douce femme, sa chère Zahya. Sa blessure au dos n'était rien, rien, comparée à l'effroyable affliction de son coeur.

— Aaaaah...

La précédente pression qui l'avait assujetti se délesta au profit d'un sentiment de vacuité qui l'emplit pleinement. Assad bascula sur le côté et s'étendit à plein dos, indifférent à ses plaies. Il neigeait toujours. Assad cligna des yeux, chassant un flocon qui vint se loger sur sa paupière.

Assad éprouva l'immense besoin de rejoindre la dépouille de son épouse. Un besoin dévorant, presque maladif. Les pensées brouillées, l'image de la Lame Jahanama qui transperçait sans pitié le corps de sa femme repassait en boucle. Une scène qu'il n'oubliera jamais, et qui le hantera jusqu'à la fin de ses jours. L'âme chaleureuse de Zahya avait été ravie par les doigts froids de la mort. Imaginer son corps sans vie lui était insupportable.

Le roi de Sultakara se retrouva sur ses pieds sans même qu'il ne se souvint de s'être levé. Il fit un pas en avant, mais il tituba, son dos le lançant terriblement et ses cuisses ankylosées l'empêchant d'avancer. En revanche, sa volonté, dure comme le fer, de retrouver le corps de sa chère le motivait plus que tout.

Chaque pas réalisé était d'une extrême difficulté, comme si ses jambes s'étaient muées en plomb.

☾☾☾

D'un air absent, il arriva devant la plateforme marbrée, détruite en partie par sa fureur. Il marcha lentement jusqu'au chandelier violet et l'abaissa, comme Fenrir l'avait fait tout à l'heure. Tandis que la plateforme se mettait en branle, il remarqua du coin de l'oeil un objet étincelant à ses pieds. Il baissa son regard.

Il s'agissait du Saphir Sidéral.

Il resta stoïque devant l'artefact antique. Assad le prit tout de même et le glissa dans sa poche. La plateforme défigurée entama sa longue descente.

☾☾☾

Assad était arrivé. Ses jambes, qui l'avaient courageusement supporté durant toute se descente, se dérobèrent à la vue du corps sans vie de Zahya, baignant dans l'eau verdâtre. La respiration chaotique, la gorge nouée, il traîna difficilement sa carcasse éreintée vers la dépouille, les pensées confuses. Il sentit une main le saisir par l'épaule, qu'il repoussa rudement. Quelqu'un d'autre lui saisit le poignet, mais Assad se dégagea, n'avançant toujours que vers un seul objectif. Tout n'était qu'un tourbillon de couleur autour de lui. Il ne percevait rien, si ce n'était le visage de feue son épouse, aussi blanc qu'était sa robe.