07 février 1875 — Viridis
Bien loin des tracas sultakarois, dans les appartements royaux de Viridis, Talius reçut une visite des plus inattendues. Alors qu'il veillait un livre entre les mains, son esclave de pierre, enfanté par la plus noire des magies, se matérialisa devant lui. Les pupilles du roi se dilatèrent.
Ça y est ! Sa mission est accomplie !
Un frisson d'excitation parcouru son échine. Il jeta son livre sans même marquer son arrêt, s'empressa de verrouiller son bureau et de rabattre les rideaux de ses fenêtres.
— Suis-moi, ordonna-t-il.
Talius alla jusqu'à sa bibliothèque et tira le grimoire qui permettait d'accéder à son laboratoire privé. Une étagère coulissa derrière une autre et il entra dans le lieu où il pouvait s'adonner à toutes les expériences suspectes qu'il affectionnait tant, sans risquer d'être coincé par les instances internationales de la Conférence. Le roi s'assit derrière une grande paillasse toute de verre, posa ses coudes sur la table, croisa ses mains et observa la marionnette avec condescendance.
— J'espère que tu m'apportes des informations pertinentes sur le groupe d'Assad.
Des yeux du golem furent projetés des images, dévoilant au roi l'étendue des évènements dont il avait été témoin. Son énorme gueule parsemée de dents irrégulières semblables à des briques lui conta les drames de Callisto.
À la fin du récit, Talius ne reprit pas la parole immédiatement. Il avait eu un très bref pincement au coeur en apprenant le décès de Zahya. Il n'appréciait pas spécialement le groupe de l'Adrastée, mais jamais il n'avait souhaité que l'un d'eux ne meure.
Assad doit être dévasté.
Songeur, le souverain se leva et alla dans son armoire. Il avait besoin de s'occuper les mains. En ouvrant les lourdes portes de bois qui abritaient son nécessaire à potions, ses yeux tombèrent sur des coffrets de bois. Des boîtes semblables à celle qu'il avait donné à Zahya, la dernière fois que l'Adrastée s'était invité à Viridis. Une pensée furtive s'interposa dans son esprit, celle de la défunte reine, l'interrogeant savamment sur ses dernières prouesses de préparateur de potions. Il se rappelait encore des questions et remarques pertinentes qu'elle avait dite.
Talius souffla. Sans doute, dans leur petite compagnie, Zahya était celle qu'il affectionnait le plus. Bien éduquée, toujours mesurée dans ses propos, parlant seulement lorsqu'elle avait quelque chose d'intelligent à dire, la reine de Sultakara ne pouvait être qu'appréciée. D'autant plus qu'elle avait d'excellentes dispositions pour la magie de soin, un trait que jugeait Talius comme étant de qualité
— Paix à votre âme, reine Zahya, murmura Talius. Je n'ai jamais souhaité votre mort. Nous... vous regretterons.
Le roi s'approcha du golem, qui n'avait pas bougé d'un iota depuis tout à l'heure.
— Golem. Remontre-moi les images de la mort de Zahya, ainsi que celle du combat entre Assad et Lunera.
Durant son visionnage, Talius put constater l'étendue des sentiments violents qui animaient Lunera. Une haine farouche l'avait consumé comme un brasier.
Incroyable... Jamais je n'aurais soupçonné Assad être capable de déployer une telle magie.
Talius regardait à présent les images de la transe d'Assad, usant des Arcanes de son pays pour abattre son ennemi.
— Golem, attends ! s'écria subitement Talius. Reviens en arrière.
Son rythme cardiaque s'accéléra.
Ce n'est pas possible...
Son cerveau lui avait-il joué des tours ? Stupéfait, il revit Assad prononcer l'incantation interdite, et envoyer le Sortilège de la Mort faucher Lunera.
— Oh, Assad... Quelle folie, quelle folie... La rage de tes sentiments t'as fait perdre toute raison ! Si la Conférence Internationale venait à l'apprendre... Les conséquences pour Sultakara en seraient fâcheuses.
En proie à une intense réflexion, ses yeux roulant presque dans leurs orbites, Talius répéta :
— Si la Conférence Internationale venait à l'apprendre... Les conséquences pour Sultakara en seraient fâcheuses...
Beaucoup d'idées et d'hypothèses germaient dans l'esprit de Talius. Le guérisseur s'approcha de son serviteur.
— Nous verrons ça plus tard... Donne-moi le sang et les cheveux de la fille, ordonna-t-il en pointant sa paillasse du doigt.
Lentement, l'être de pierre tendit son énorme main et posa une fiole remplie à moitié de sang, ainsi qu'une poignée de cheveux noirs.
— Disparaît.
Le golem trembla, et des gargouillements provinrent de l'intérieur de son corps rocheux. Alors, il implosa, et s'évanouit dans l'air comme un mirage, ne laissant aucune trace derrière lui. Talius s'empara du flacon et le leva à hauteur de ses yeux.
— Hum... Je vais mettre les cellules sanguines en culture... On verra ce que je pourrais en tirer...
Talius fit le nécessaire, rangea ses différents échantillons et sortit de son laboratoire privé. Il traversa son bureau, s'apprêtant à se rendre dans ses appartements, quand un détail attira son attention. Une lettre officielle, frappée des armoiries sultakaroises, se tenait sur une pile de documents qu'il avait classé tout à l'heure.
Déjà ? Une lettre hyper-express ?
Talius s'en saisit et ses yeux s'écarquillèrent à la vue du Sceau du Lion. Une telle marque indiquait l'importance du courrier. Se doutant déjà du contenu, Talius déplia la feuille de parchemin et commença à lire.
07 février 1875
À Sultakara
Sire Talius Roheline Vultus Sylphadèl, Roi de Viridis,
J'ai l'immense tristesse de vous annoncer le décès de sa Majesté Zahya Sulta, Reine de Sultakara. L'enterrement de la Reine aura lieu le 08 février, au crépuscule. Vous êtes convié, ainsi qu'une délégation composée par vos soins, à la cérémonie. Sa Majesté espère vous y retrouver.
Veuillez, Sire, agréer l'expression de nos sincères sentiments,
Adja Delphine Dahaka, Ministre du royaume de Sultakara.
Soupirant, Talius se pencha, saisit une plume d'une main, une feuille de parchemin de l'autre, et griffonna une réponse affirmative, qu'il renvoya immédiatement à la ministre d'Assad.
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Terreur Lunaire - Livre 1 - Vers le Cœur Arkhale
FantasiDans un univers où la magie est omniprésente, circulant avec la même ardeur que le sang dans les veines, une menace annonciatrice d'un avenir funeste se dessine dans le reflet de l'Astre Lunaire. Lunera, jeune fille à l'aube de ses dix-sept ans...