La convocation

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Bien que cueilli au petit matin par l'inquiétant chef de la garde royale et conduit sans explications jusqu'au palais du souverain, Taris profitait du panorama que lui offrait le petit salon dans lequel on lui avait ordonné d'attendre.

Depuis la fenêtre, on avait une vue imprenable sur tout le côté sud de l'île d'Anthion. Au pied du bâtiment s'étendait la ville de Lefkos — qui signifiait la blanche en langage ancien , avec ces maisons caractéristiques en marbre à trois étages. À l'intérieur, on s'entassait parfois jusqu'à une dizaine de familles.

Les dernières décennies avaient été prospères pour Anthion. La population s'était allègrement accrue sur la surface limitée de l'île, obligeant les habitants à s'accommoder du manque de place. Même les toits, qu'on construisait plats selon la tradition, avaient été aménagés. Les plus pauvres y vivaient sous des tentures de fortune, ce qui donnait une apparence bariolée à la ville. Lefkos ne portait plus très bien son nom depuis longtemps.

Taris observait les rues exiguës qui serpentaient parmi les habitations. Elles se remplissaient peu à peu en cette heure matinale. On peinait déjà à circuler dans l'étroite artère principale qui partait du palais. Taris la suivit des yeux jusqu'au port, grouillant d'activité, avant de laisser son regard se porter au loin.

De l'eau, à perte de vue.

Il se demanda quel intérêt les dieux avaient trouvé à peupler de créatures terrestres un monde composé presque uniquement d'océans.

Car, sur Insularis, la planète bleue, les humains et tous les êtres non aquatiques en étaient réduits à vivre sur de petites îles parsemées dans l'immensité des mers. Ce monde était avant tout le terrain de jeu des animaux marins, qui s'attaquaient aux bateaux et rendaient difficile tout voyage entre les différents archipels du globe.

Seuls les navires de La Compagnie Marchande disposaient du savoir permettant de voguer le long des routes maritimes en toute sécurité, faisant payer à prix d'or le transport de biens et de voyageurs. Personne n'en avait jamais aperçu les propriétaires. La fortune que ces mystérieuses créatures avaient accumulée durant des siècles de monopole devait être colossale.

Taris se disait qu'il n'aurait jamais les moyens de voir le monde. Peut-être pourrait-il visiter un jour les autres îles de son archipel, Pélagos, où la navigation était possible. Mais comme les Pélagiens occupaient leur temps à se faire la guerre, il avait de fortes chances que Taris passe toute sa vie sur Anthion.

Le jeune homme n'était pas de nature à se laisser aller à la nostalgie et il chassa cette pensée. Mieux valait s'interroger sur les raisons de sa convocation au palais royal. Polydès, le chef de la garde, était resté muet comme une tombe.

Il émit des suppositions. Une délégation d'ambassadeurs était arrivée il y a quelques jours ; l'intendant avait certainement une commande à lui passer. Une de celle qui nécessitait de la discrétion.

Car, à vingt-cinq ans, Taris était un marchand en vue sur Anthion. Il devait sa réputation aussi bien à sa capacité à dénicher les meilleurs biens de tout l'archipel qu'à ses talents pour se procurer les articles les plus interdits.

Si, officiellement, le roi condamnait toute importation de produits exotiques, fabriqués par d'autres races que les humains, il tolérait leur trafic au marché noir. Même au palais, on savait apprécier certains alcools forts rares des îles du Sud ou certains mets exceptionnels originaires du Nord.

Des bruits de pas se rapprochèrent. Taris s'attendait à voir débouler l'intendant, un petit individu bien en chair et toujours agité, mais ce fut un homme d'une cinquantaine d'années qui pénétra dans le salon.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 07, 2022 ⏰

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