Ma belle Camille

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Mon poing est resté suspendu dans les airs quelques secondes. Le brouillard s'est densifié. Je suis restée hébétée. Et il m'a jaugé.

De près, il était largement plus grand que moi, ces cheveux noirs étaient encore plus ébouriffés que les autres fois. Son tatouage était dessiné à l'encre noir, et j'ai pu en voir une partie. Un aigle, et des symboles que je n'ai pas réussi à identifier. J'ai rassemblé mon courage et j'ai levé les yeux. Je lui ai fait face.
Mais son regard m'a déstabilisé. Des pupilles d'un bleu perçant. Je n'arrivais pas à lire son regard. Il exprimait trop de chose à la fois. J'ai voulu ouvrir la bouche, mais je ne savais pas quoi dire. Pourquoi avait-il ouvert la porte maintenant ? Il ne portait plus sa chemise d'hôpital, mais un jogging noir et un large tee-
shirt gris. Il a pointé le sol du doigt. J'ai suivi son regard sans trop comprendre.
‒ Ton ombre.
Je l'ai dévisagé. Et je suis soudain devenue muette. Aucun mot ne pouvait expliquer ma présence.
‒ Je vois ton ombre sous la porte depuis tout à l'heure.

Cette fois, il ne semblait pas en colère. Je ne voyais pas cette lueur de haine briller dans ses yeux, comme j'avais pu la voir dans le bar. Il semblait plus fatigué qu'autre chose. Il portait son bras en écharpe.
‒ Je peux entrer ?

Je n'ai trouvé que ces mots pour briser le silence qui s'était installé. Il a soupiré puis il s'est décalé pour me laisser entrer.

Il s'est assis sur son lit. Un grand carnet noir et un crayon était posé sur la table. Je suis restée debout, à quelques mètres de la porte. J'étais perdue. Entre la honte et le désespoir.

Pourquoi Marie n'était-elle pas venue avec moi. J'ai pensé à elle très fort. Même Néo aurait pu mieux lui expliquer que moi. Il me regardait sans rien dire. Il paraissait moins méchant ici. Peut-être ne l'était-il pas du tout ? Pourtant, je sentais bien en lui une haine immense. Il ne disait rien. Le silence était insupportable.

‒ Je t'ai vu la dernière fois, dans un bar.
J'en avais oublié le nom. Peut-être allait-il dans plusieurs bars ? Je n'ai même pas essayé d'imaginer ce qu'il pensait. Il avait les traits fins, la bouche légèrement rosée. Ses sourcils étaient aussi foncés que ses cheveux. Ses épaules étaient larges.

‒ Et dans le bus aussi, ai-je dis. Je voulais seulement te poser une question.
Il a soulevé un sourcil.
‒ Vas-y, a-t-il lâché.

Je ne voyais que cette question. Lui expliquer toute la situation ne servirait à rien. Il était
totalement fermé. Ce que je comprenais, puisque je ne le connaissais pas, et lui non plus.
‒ Je pense, que tu avais une raison de te trouver dans ce bus, à cet instant précis. Nous en
avions tous une. Marie, Néo, tous. Quel est ton sens ?
‒ Aucun.

Il n'a pas ajouté un mot de plus. Sa voix était roque et dure. Il a croisé les bras. Et toutes nos théories sont tombées à l'eau. C'était impossible.
‒ Rien du tout ? Rien d'anormal ? Rien de différent ? Tu ne sens pas quelque chose qui a changé ?

Il a légèrement secoué la tête. Je ne savais pas quoi dire. Il voulait seulement être seul, pour toujours. Je pouvais le lire sur son visage. Des cernes marquaient légèrement ces yeux. Il a serré la mâchoire, son bras semblait lui faire mal. Personne ne pourrait rien faire.

Il dégageait une indifférence imbrisable. Ni Marie, ni Néo, ni personne ne pourrait le convaincre. Alors, j'ai juste abandonné. Il possédait un sens, c'était sûr, mais il ne voulait pas en parler.
Et je respectais son souhait. Je ne comprenais pas tout de ce que signifiait la ligne, ni de pourquoi elle l'avait choisi, lui. Mais ce soir, je ne pourrais rien lui dire.

Pourtant, je me suis dit qu'il fallait que j'ajoute quelque chose.
‒ Est-ce que tu crois au destin ?

Et je crois bien que ça a été le seul moment où une lueur d'intérêt a éclairci ses yeux. Mais ses traits sont restés impassibles. Je fonctionnais à l'instinct, je l'avais toujours fait. Et, il ne m'avait jamais trahi. Alors, j'ai fait un pas en arrière.

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