Chapitre 9, photographie.

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     L'Aglaé que nous retrouvons dans la grange des Chomin est survoltée. À peine entrés dans la pièce, elle nous saute dessus.

— Ce n'est pas trop tôt ! s'exclame-t-elle. Vous en avez mis du temps. Il faut qu'on y aille, j'ai du nouveau.

— Du nouveau par rapport à quoi ? la questionne Paul, tout aussi excité de la nouvelle.

Charlie et moi, restés en arrière, contemplons la scène. Mon regard s'attarde sur le carnet de notes que la jeune fille a laissé sur la table. Sur la page ouverte, un nom, accompagné d'une adresse, y sont inscrits en lettres épaisses. Je souris.

— On va chez André Tournel !

— Exactement ! se ravit Aglaé. Il nous attend dans la matinée alors, pas de temps à perdre, ça va être passionnant. Je crois qu'il est prêt à collaborer.

— Comment t'as réussi ça ? s'étonne Charlie.

Aglaé, rassemblant ses affaires éparpillées sur la table pour les fourrer dans son sac, nous explique :

— Je n'en sais rien ! Je lui ai téléphoné tôt ce matin, nous avons rapidement échangé. Je lui ai posé des questions sur les raisons de l'interdiction de la pêche sur lac, son rôle dans tout ça, sa méthode de travail, mais c'est resté très cordial : je ne voulais pas lui faire peur. Il a très vite compris que mes questions étaient orientées, que je voulais en savoir bien plus que ce qu'une petite naturaliste en quête de stage aurait pu demander. J'ai paniqué, alors je lui ai dit que je savais ce qu'il avait fait, qu'il était temps qu'il avoue ou nous n'hésiterions pas à le dénoncer publiquement.

Charlie ouvre de grands yeux, Paul se frappe le front.

— Mais qu'est-ce qui t'a pris ! s'exclament-ils.

Aglaé, sans se laisser démonter, continue son histoire :

— En entendant ça, il a de suite raccroché. J'ai essayé de le rappeler à de nombreuses reprises, mais la ligne était coupée. J'ai abandonné et, il n'y a même pas une heure, j'ai reçu un SMS : il m'indiquait son adresse. Nous avons rendez-vous à dix heures. Je crois qu'il est prêt à parler.

— Qu'est-ce que tu en sais ? demande Charlie, sceptique.

Aglaé hausse les épaules en y déposant son sac, puis se dirige vers la sortie de la grange.

— L'instinct !

André Tournel réside au nord de la vallée, dans les alentours du barrage. Nous en aurions pour plus d'une heure à pied, Paul nous propose donc de prendre sa camionnette, enfin réparée. Nous nous mettons en route le plus rapidement possible. Il prend le volant, à côté de lui, Aglaé tente désespérément de faire marcher le poste radio. À la troisième place qui compose l'unique banquette du véhicule, je suis silencieux, épuisé du début de matinée déjà bien chargé que j'ai vécu. Charlie ne nous accompagne pas ce matin, il doit assurer les leçons de catamarans qu'il propose aux touristes. Son air intimidant aurait pu nous servir, mais nous allons faire sans lui. Quelque chose me dit qu'Aglaé ne laissera pas André Tournel nous entourlouper.

Par la fenêtre grande ouverte, je contemple le paysage défiler. La route grimpe légèrement et se hisse au-dessus du lac, bordée par un petit précipice. Nous traversons par moment quelques villages ou simples hameaux, et la camionnette peine à passer entre leurs rues étroites, entourées de maisons de granite aux tuiles de schiste. Les villages de cette région ont un charme inégalable. Aucune architecture moderne ne peut emplir mon cœur comme ces maisons en sont capables. Elles respirent la fraîcheur, et dans leur roche, les souvenirs de millénaires passés sur cette Terre.

Jeunesse lève-toi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant