Mission "Ulysse" (Regana - tome 2)

Chapitre 3.

Ils étaient là, partout dans ces bois.

Dans les branches se perdaient leurs murmures glacés, leurs plaintes désenchantées, égarées, qui ne trouveraient jamais d'assez bonnes oreilles pour les recueillir. Au cœur du cercle des damnés, les âmes pleuraient et gémissaient. Et je pouvais presque deviner à ces sanglots dramatiques la nature de leur péché, la nature de leur punition... Des âmes corrompues par le Mal, précipitées vers l'enfer de Regana pour avoir ouvert leur cœur à ses sincères propositions.

Le diable ne faisait qu'agiter le drapeau rouge.

Les Hommes fonçaient droit devant, trop aveuglés.

Et leurs âmes... Leurs âmes nous revenaient, à nous, êtres plus damnés encore, si pourris qu'au lieu de nous blâmer, les enfers nous ont consacrés, plus haut que tout, dans les ténèbres du vice et du crime. Le troisième cercle était devenu notre maison. Et du premier au dernier, nous pouvions errer pour y faire régner nos volontés.

Sublime condamnation...

Postée sur le perron de notre petite maison, je laissai les pleurs de la forêt obscure me parvenir, portés par le vent, s'insinuer dans mon esprit. Des flammes infernales, des mâchoires monstrueuses, des poisons les plus vicieux, rien n'était trop pour torturer, tout était éternellement une juste punition.

Le Mal se nourrissait du mal...

Un souffle s'échappa d'entre mes lèvres et je rejetai la tête en arrière. Cet appel sinistre s'engouffrait dans mon être telle une tornade porteuse de souffrance, de regrets, de haine... La douleur après tout ne faisait que nourrir la rancœur. Elles embaumaient l'air, parfum nauséabond qui à mes sens prenaient la douceur d'un effluve sanglant. Un appétit se réveillait en moi. Le mien. Mon cœur de démone me poussait à quitter le palier de pierre, à suivre le sentier, à quitter la maison pour regagner les profondeurs de la forêt.

Il me suffirait de m'y enfoncer, de suivre leur piste, de les trouver... Et de laisser le mal les détruire. Mes doigts me démangeaient. Je n'avais pas besoin de mon autre disparue pour faire ce qui était devenu ma nature. J'étais aussi cruelle et dangereuse qu'elle. Mais je n'étais plus folle.

Et je rêvais que le monde s'en aperçoive.

Le troisième cercle avait trouvé sa reine de l'aube.

Mais voilà que l'on me privait de ma nuit, de mes ténèbres, de mon sang. Et la mélodie des complaintes résonnait atrocement à mes oreilles, tentation délicieuse et inatteignable.

Je vivais enfin mes premiers instants de paix, mes seuls en tant que véritable démone, sans que plus rien ne vienne tirailler sur cette conscience si claire. Et je ne pouvais même pas en jouir à ma convenance. Seulement écouter... et me repaître de cet hymne désespéré.

Un vent léger soulevait mes cheveux, effleurait mes joues, comme la caresse d'un esprit invisible, avide de baisers. Lentement le coin de mes lèvres s'étira sur le côté, en un rictus narquois.

Je sentis sa présence avant même que ses bras ne se referment autour de ma taille, amant infernal, me pressant contre lui, contre son ombre menaçante. Un frisson dévala mon échine et je soulevai enfin les paupières, un instant éblouie par la lumière pervertie du ciel de Regana.

Dante enfouit son visage dans le creux de ma nuque, effleurant de sa bouche mon épaules. Un soupir de contentement m'échappa alors même qu'une douce chaleur gagnait mon être, rencontrant son point de fusion au creux de mon abdomen, tout en bas... Mes mains se posèrent sur ses poignets scellés au niveau de mon ventre.

C'était le matin. Ou du moins, nous avions décidé qu'il s'agissait du matin. Du notre. L'heure à laquelle, tirée du sommeil bien avant lui, je m'éclipsai à l'extérieur, l'abandonnant aux muses de l'aurore pour venir respirer l'air frais des enfers chargé des parfums de la forêt. Et le poète me rejoignait toujours, quelques minutes plus tard, ayant revêtu son habit écarlate et sa couronne de laurier, identique à celle qui coiffait déjà mes boucles blondes dans lesquelles son visage se perdait désormais, amoureusement.