Chapitre 45 : La Gardienne du Néant (époque : 2022) (2/4)

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- Nous connaissons-nous ? interroge le clinicien, l'esprit ailleurs. Comment savez-vous que je suis Docteur ? poursuit-il, devant l'homme qui se contente de sourire.

Le portillon ouvert, J. Stevens fixe le regard vide la porte de la maison qui se tient à cinq mètres devant lui. Il se perd dans l'incompréhension. Comme beaucoup de maisons de ce type, une inscription est gravée sur une plaque fixée sur le mur au-dessus de la porte.

Néanmoins, plutôt qu'une gravure habituelle telle que « Bienvenue chez... » ou « Maison du bonheur », se tiennent les mots : « Memento Ut Obliviscatur ».

- « Souviens-toi d'oublier », si jamais vous recherchez la signification.

L'homme âgé tient ses lunettes posées sur ses yeux froids. Ses cheveux blancs volent au vent et retombent en partie sur son costume noire. A ce moment, les années paraissent n'avoir eu aucun impact tant il semble plein de force et d'assurance.

- Vous parlez latin ? ou bien vous êtes un voisin ? Dans ce cas...

- Je le sais car c'est moi qui l'ai fixé, coupe l'homme que J. Stevens dévisage avec plus d'attention.

Un moment d'hésitation naît entre les deux hommes avant que le plus âgé reprenne :

- J'ai racheté la maison il y a longtemps et je l'ai récupéré il y a un an. La locataire en question a disparu à ce moment, aucun risque que nous soyons dérangés !

J. Stevens considère amplement l'homme qui se dresse face à lui, puis d'un coin de l'oeil le nom derrière le plastique abîmé "Martha Tabram".

- Vous ne me reconnaissez pas, Dr Stevens ? interroge-t-il en essuyant ses lunettes. Je suis fort déçu.

- Vous êtes... vous êtes... bafouille-t-il en jetant sa cigarette pour en reprendre une autre de sa main tremblante qui ne peut feinter le stress.

- Oui... dit-il satisfait. Nous y voilà, cela vous revient.

- Vous êtes le Pr Bietez, répond-il dans une bouffée de tabac et de réassurance.

- Précisément. Je savais qu'un jour ou l'autre vous reviendriez ici.

Le psycho-criminologue pointe la maison de sa main et se frotte le front de l'autre.

- Que faites-vous ici, Professeur ?

- Je vais vous expliquer, rétorque-t-il d'une voix autoritaire dénuée de toute confiance.

- Je suis quelque peu désorienté... Désolé, avec la fatigue il m'arrive d'interpréter. Lisez-vous aussi ici que nous sommes chez Madame Martha Tabram ?

- J'imagine bien que vous l'êtes. Je vous rassure, nous sommes bien chez elle, approuve-t-il en passant devant le clinicien pour ouvrir la porte principale. Entrons, je vous prie.

La porte s'ouvre sur une entrée qui dévoile le salon, la pièce ouverte de la cuisine, les poutres en bois, une vieille cheminée fatiguée d'avoir trop brulée. J. Stevens sent en lui les abysses l'agripper, l'abîme le recouvrir, le néant le posséder. Hart Bietez entre effectivement comme lui, retire son manteau et invite le psychologue à faire de même.

- Je vous offre un café, Docteur ?

- Un verre serait préférable, répond J. Stevens dans une situation surréaliste.

- Au regard de vos mains moites et votre visage creusé, un café serait préférable Docteur. Vous en avez manifestement besoin, avec un sucre car vous en manquez, comme tous les alcooliques.

Alors que J. Stevens émet une réaction défensive, H. Bietez le devance :

- Pas à moi, jeune homme. Vous êtes ce que vous êtes, je ne vous ai jamais jugé pour cela.

Il finit de dresser la table avec le café et quelques gâteaux amenés avec lui. Il propose à J. Stevens de venir s'asseoir en lui tendant un journal pour accompagner sa tasse.

- Si cela vous intéresse, nous fêtons aujourd'hui le lancement officiel à l'échelle nationale de la Sat-électricité de notre Président. C'est un grand jour, précise-t-il d'une voix plate sans conviction.

- Ceci explique au moins les nombreuses absences du conseiller sur cette dernière semaine.

- Même s'il fut moins présent à la fin, qu'avez-vous pensé de ces trois semaines avec ce James Whedon ? dit toujours aussi calmement H. Bietez, comme s'il s'agissait d'une conservation normale avec un ami de tous les jours. Il vous tient en haute estime, savez-vous ?

- Pour tout vous dire, aujourd'hui ça m'importe peu, répond-il en lisant d'un œil la première page du Times.

- Non, ne dîtes pas cela. Il ne reste plus qu'aujourd'hui, après tout est fini pour nous, avant l'éternel retour évidemment.

Le Pr Bietez se délecte de la situation et le Dr Stevens le perçoit à chaque intonation, tout autant que dans la gestuelle.

- Je fondais l'espoir que vous pûtes m'évoquer vos échanges avec le Dr Andrews ?

- Le Dr Andrews ? s'embrouille J. Stevens, les lieux s'emparant de sa raison.

- Oui, « le » Docteur. Les échanges vous ont-ils emportés ? C'est un homme fascinant, n'est-il pas ?

Derrière J. Stevens, face à H. Bietez, de l'autre côté de la pièce s'ouvre à nouveau la porte d'entrée pour y dévoiler un homme l'arme à la main. L'individu est grand, distingué, au regard vif.

- Cher commissaire Naghten, quelle bonne surprise ! adresse le vieil homme sans la moindre émotion. Venez donc vous joindre à nous, il nous reste du café et j'ai amené trop de gâteaux. Le Docteur ne mange visiblement rien d'autre que du liquide.

Les deux hommes ne disent mots, impressionnés par le sang-froid du Chef de la Famille d'Eli.

- Ne soyez pas gêné, Docteur. C'est de mon fait, j'aurais dû m'en rappeler. Déjà enfant, vous n'aviez jamais d'appétit.

Le commissaire s'assied en observant toute la pièce. J. Stevens remarque que l'élégance anglaise s'est en partie éteinte pour y substituer la négligence universelle de la vengeance et du ressentiment.

- Vous êtes le Professeur, je ne me trompe pas ? Le Professeur Hart Bietez ?

- Vous ne commettez aucune erreur. D'ailleurs, Christian, je vous sais homme prudent et réfléchi. C'est amusant...

H. Bietez émet plusieurs rictus en mangeant une pâtisserie qui lui laisse du sucre glacé sur les lèvres.

- Qu'y a-t-il d'amusant dans cette situation, Professeur ? s'irrite mesurément le Commissaire Naghten.

- Je pensais juste que... Voyez-vous, le dernier Christian que j'ai connu dans cette ville était le fils d'un vieil ami juriste. Il a disparu des mains d'un tueur en série, lui aussi disparu d'ailleurs.

Le commentaire jette un froid supplémentaire dans la conversation, J. Stevens et C. Naghten ne parvenant pas à détacher leur regard du vieil homme.

- Je suis bien le « Professeur », comme vous dîtes. Visiblement, les secrets ne sont plus ce qu'ils étaient.

- J'enquête sur vous...

- Je le sais bien, répond-il. Vous avez maladroitement confié toutes vos preuves à la Famille. Enfin, vous ne pouviez pas le savoir.

- La famille ? questionne-t-il d'une voix serrée par la détestation et l'effroi.

- Oui, oui, Commissaire. Vous savez, comme partout, tout est bien souvent une question d'histoire de famille. Enfin, c'est une expression comme une autre, ajoute-t-il dans un large sourire dévoilant ses dents jaunies.

Le Commissaire claque sa main droite sur la table avec son arme en joue, avant de s'exprimer avec pugnacité.

- Je suis là pour vous ramener en Angleterre. J'ai déjà prévenu les collègues, dont la police locale et la CIA.

Dr J. Stevens FACE aux GARDIENS [ShortList Watty22... ss Edition] (Partie 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant